Le Dr Henry Jekyll est un chercheur passionné bientôt fiancé avec la douce Beatrix Emery. Il devient pourtant le propre sujet de ses expériences et boit un breuvage qu’il vient de mettre au point. Immédiatement soumis à des visions démentes, il découvre qu’il n’est plus le même homme: en tout cas, tous ses bons côtés semblent avoir disparu pour laisser place à un être mauvais, aux sombres desseins et surtout dangereux…
Le roman de Stevenson avait connu une adaptation déjà réussie en 1932 par Rouben Mamoulian et à peine dix ans après, voici que Victor Fleming, sacré réalisateur star après Le Magicien d’Oz et sa contribution à Autant en emporte le vent, s’attelle à ce remake classieux. Classieux, car reconstituant à merveille le Londres victorien, celui où sévit notamment le terrifiant Jack l’Eventreur. Un Londres baigné de brouillard avec ses badauds miséreux et ses bourgeois nantis, un lieu de paradoxes collant très bien aux deux facettes de la personnalité du héros titre. Le bon Dr Jekyll, rangé, amoureux, ambitieux face au méchant Mr Hyde, abject, sadique, capable du pire. Fleming n’a pas soigné que son esthétique, car pour raconter cette lutte entre le Bien et le Mal, il traite de thèmes « scandaleux » pour l’époque comme le désir sexuel, l’avidité, la luxure et détourne ainsi la censure. Par le biais notamment de « délires » surréalistes dignes de Man Ray ou de Dali lorsque la transformation de l’homme en Bête a lieu: la séquence où Hyde assoiffé conduit des chevaux prenant l’apparence des deux femmes de sa vie (sa fiancée et Ivy, la fille facile qu’il a rencontré un soir dans la rue) dans une position extatique plus qu’explicite en est un exemple frappant. Entre onirisme et fantastique, Fleming réalise un excellent condensé de psychanalyse, disséquant les vices de l’humain et ses turpitudes.
Mais le plus jouissif se situe certainement dans la distribution, tout à fait surprenante! Pour incarner Jekyll/Hyde, Spencer Tracy laisse éclater ses dons d’interprétation, jouant avec ses deux personnalités en les enrichissant de nuances essentielles pour ce double rôle. Choix bigrement risqué et ô combien osé que de confier le personnage de la sage fiancée quasi virginale à la « délurée » Lana Turner et au contraire d’employer Ingrid Bergman dans celui de la fille de « mauvaise vie », aguicheuse et devenant la victime terrorisée. La future muse d’Hitchcock est absolument splendide à tous points de vue (physique et jeu) et le film lui doit beaucoup. Son rôle a été ajouté puisqu’il n’existait pas dans le roman original et cette idée donne tout son sel à ce remake de haute tenue.
ANNEE DE PRODUCTION 1941.