Des troupeaux de moutons, puis des flots d’ouvriers sortent d’une usine: Charlot en fait partie. Empêtré sur un tapis roulant, il est happé par les rouages d’une énorme machine à manger, pour laquelle il sert de cobaye. Il resserre quotidiennement des boulons jusqu’à devenir maboule! Ce travail à la chaine provoque son inévitable « burn out »!
Cinq ans après son merveilleux Lumières de la Ville, Charlie Chaplin endosse de nouveau (et pour l’ultime fois) les habits de Charlot le vagabond, ici employé dans une usine où seul le rendement compte et où la déshumanisation est clairement en marche. Préoccupé par le changement de son temps suite à la grande Crise de 1929, Chaplin accouche d’une satire cinglante du machinisme industriel et par extension des mutations économiques que traversent le monde, aboutissant au chômage de masse. Avec son génie comique intact (et sûrement là à son zénith), il met en place une horlogerie réglé à la perfection, entre propos politique, gags visuels et maitrise absolue de la mise en scène. Ne tombant jamais dans le mélo gratuit, il injecte pourtant des doses massives de tendresse dans la quête désespérée de bonheur du petit vagabond ouvrier, passé par la case prison (sans toucher 20000 francs), et embarque avec lui une orpheline adorable pour laquelle il voudrait décrocher un avenir radieux. Son aisance à enchainer les séquences à la fois drôles et émouvantes impressionne tout du long, ne perdant pas une seconde de rythme, le tout en restant obstinément ancré dans le muet (pourtant remplacé depuis sept ans par le cinéma parlant!). Il a conscience que la pantomime est indissociable de son personnage et que la parole n’apporterait rien de plus à la grandeur de son métrage. Seule la scène du cabaret où il doit entonner (en l’improvisant) une chanson nous permet d’entendre le son de sa voix. Avec humanité et lucidité, Chaplin traite autant des grèves, des inégalités sociales, des laissés pour comptes dans un système qui n’a de cesse de les broyer.
Les larmes nous montent souvent aux yeux devant le couple qu’il forme avec son actrice fétiche de l’époque, la jolie brune Paulette Goddard, lui offrant là un des ses rôles les plus marquants en gamine des rues rêvant à des lendemains meilleurs. Chaplin semble au mieux de sa forme et utilise son corps comme jamais, le contorsionnant, le mettant à rude épreuve et subissant l’aliénation terrible du machiniste. Le réalisateur acteur hors normes qu’il était critique certes la société d’alors sans toutefois tomber dans la férocité, le rire étant sa véritable arme de défense. Et comment oublier ce final déchirant où Charlot, désemparé par le découragement bien légitime de sa douce compagne, lui redonne le sourire avec un optimisme candide, sur l’air tellement mélancolique de Smile? Et ce dernier plan du couple, bras dessus bras dessous, continuant leur chemin sur la grande route hasardeuse du destin! Tout simplement éternel!
ANNEE DE PRODUCTION 1936.