A Marseille, un concessionnaire auto fortuné a tout pour être heureux: une femme à la beauté parfaite, Florence, deux enfants adorables, et pourtant il s’ennuie. Il rencontre alors Colette, la nouvelle secrétaire intérimaire au physique ordinaire, et en tombe amoureux. Dévastée et confuse, Florence ne sait comment lutter contre cette rivale inattendue…
Ne craignant jamais de proposer des films à contre courant du classicisme ambiant, Bertrand Blier inverse pour ce récit la situation habituelle de l’adultère mille fois vu: cette fois, le mari trompe sa femme sublime avec une fille un peu ‘ »tarte », pas un laideron mais presque! Rien que de ce point de vue, Trop Belle pour toi détonne, mais pas seulement: du côté de la narration aussi, c’est la joyeuse anarchie: Blier déconstruit son scénario, joue avec le temps, les ellipses, envoie les conventions au placard et fait un cinéma bien à lui! Epousant la conscience et l’âme de ses personnages, le film prend le spectateur à rebours en permanence, naviguant tantôt vers la comédie de boulevard (mais brillamment dialoguée) au drame sombre et à la conclusion même pessimiste! A la lisière du surréalisme, la plupart des séquences flirtent avec un onirisme rappelant un peu Buffet Froid en moins absurde et en examinant les sentiments de chacun: le mari pris entre deux femmes diamétralement opposées, l’une à la beauté fascinante et pourtant délaissée, l’autre au charme bien caché et faisant des miracles avec ses « dons d’amour » insoupçonnés! La grâce vient toutefois d’un autre élément: la musique! Les impromptus de Schubert guident l’intrigue, en constituent même le squelette, l’ossature entière et s’impose comme un personnage à part entière. Comme le témoin de ses êtres déchirés par leurs sentiments.
Blier reprend une nouvelle fois son acteur de prédilection, l’ogre Depardieu, pour incarner cet époux infidèle se laissant embarquer dans une histoire sans l’avoir cherché, impuissant devant la souffrance de sa femme et désarmé devant l’effet que lui fait cette secrétaire banale. Avec son jeu presque ‘discret », il offre une composition pleine de fragilité. On a souvent taxé Blier de misogyne et avec cet opus, il prouve vaillamment l’inverse en mettant en avant Carole Bouquet et ses fêlures, victime de ses précieux dons naturels et lui permet de décrocher le César de la Meilleure Actrice. Quant à Josiane Balasko, elle s’éloigne avec bonheur de son comique légendaire et laisse poindre une femme inédite, passionnée, à la fois consciente de son physique ordinaire et capable de transcender cette « fatalité » en libérant une séduction apaisée et apaisante. Un triangle amoureux déroutant aboutissant à un des plus beaux films de son auteur.
ANNEE DE PRODUCTION 1989.
