A Kyoto, une veuve, Hatsuko, est la patronne d’une maison de geishas, situé dans le quartier des plaisirs. Sa fille, Yukiko, revient de Tokyo, déprimée et affaiblie après une tentative de suicide, suite à une peine de coeur. Hatsuko la confie au docteur qui se trouve être aussi son amant. Bientôt, la mère et la fille vont se trouver en rivalité, puisque Yukiko tombe sous le charme de cet homme elle aussi…
Sur la condition féminine dans le Japon d’après guerre, personne d’autre que Kenji Mizoguchi n’a mieux cerné ce thème avec l’acuité qui caractérisait sa mise en scène. Ce maitre du 7e Art nippon, avec son compatriote Ozu, avait commencé son oeuvre au temps du muet, puis avait établi une filmographie impressionnante jusqu’à son âge d’or des années 40 et 50, aux titres sublimes comme Contes de la lune vague après la pluie, L’intendant Sansho ou La Rue de la Honte. Cet opus ci, moins connu, n’en demeure pas moins un très beau mélodrame, une histoire d’amour aux allures raciniennes, puisque une femme amoureuse d’un homme plus jeune qu’elle, voit sa propre fille succomber à son tour à ce dernier. Les voila donc rivales, sans même le savoir au début, et les rapports entre mère et fille s’en voient bouleversés au plus haut point. Mizoguchi n’a pas son pareil pour livrer une réalisation aussi fluide qu’intelligente, aussi raffinée qu’élégante. Il dresse un portrait cinglant des hommes, vus comme des dominateurs arrogants et brutaux, profitant des jeunes filles présentes dans la maison de geishas, toujours avec le pouvoir de l’argent en point d’orgue. Et surtout, il montre l’impossibilité pour les femmes de trouver une place enviable dans la société japonaise, souvent victimes de leurs amours malheureuses.
Le final réunit ses héroïnes dans un seul et même mouvement: celui de la souffrance. « Vivre c’est souffrir » dit la mère, courageuse tenancière de cette maison de « plaisirs », face à la désapprobation de sa fille, révulsée par cette activité. Les deux actrices, Kinuyo Tanaka et surtout la jeune Yoshiko Kuga, pleine de détermination, offrent des performances sensibles remarquables. Le cinéaste japonais se servait de son cadre pour raconter d’une manière très poétique (et pourtant réaliste) ce que signifiait être une femme, rendait hommage à leur combat et à la fatalité de leur destin. Sur une durée très ramassée (1H20 à peine!), Mizoguchi va à l’essentiel, sonde les âmes et son film plein d’humanité bouleverse tout simplement.
ANNEE DE PRODUCTION 1954.