Dans la république fasciste de Salô, entre 1943 et 1945, quatre détenteurs du pouvoir (des notables) font enlever un groupe de jeunes filles et garçons, afin de les soumettre à des sévices de plus en plus atroces. Ses expériences ont lieu dans un château isolé, à l’abri des regards…
Pier Paolo Pasolini, le cinéaste italien le plus complexe et le plus passionnant du 7e Art, délaisse sa propension à la poésie et la sensualité heureuse et réalise là un ultime film terrible, au pessimisme irrévocable. Adaptant librement le récit du Marquis de Sade Les 120 journées de Sodome, l’auteur de Théorème nous convie à un voyage au bout de l’horreur, montrant sans les filtrer les abominations causées par des humains sur des jeunes victimes vulnérables et totalement sous leur emprise. Le film se divise en quatre tableaux distincts: Le Vestibule de l’Enfer, le Cercle des Passions, Le Cercle de la Merde et le Cercle du Sang. Dans chacune de ses parties, Pasolini ne nous épargne aucune image choc (coprophagie, viol, sodomie, tortures, etc…), délivrant à grand cri une virulente dénonciation des horreurs de la société bourgeoise, pointant du doigt le fascisme et sa capacité à nier l’individu, à l’animaliser avant de le détruire. Cette succession de séquences, à la limite de l’insoutenable, crée le dégoût, l’effroi, et peut même rendre physiquement malade, pour les plus sensibles d’entre nous. Il ne cherche jamais à styliser la violence, il la montre tel qu’elle, dans sa brutalité et son intention est claire: nous en mettre plein la gueule! En immense cinéaste, il parvient à rendre la nudité, la sexualité et les différentes déviations filmées au plus près anti érotique, et le plus affreux est que l’on ne peut même pas prétendre que « ça n’est que du cinéma » (pour se rassurer). De telles atrocités ont été subies et vécues par des êtres humains, sous le joug de dictatures assoiffées de domination physique et mentale.
Le récit, allant crescendo dans l’ignoble, est constitué d’abondants dialogues (ou plutôt de monologues sortis de la bouche même des tortionnaires et de leurs maitresses), les mots aussi peuvent choquer, n’adoucissant jamais les actes de barbarie. Comment tenir jusqu’au bout des deux heures de projection? En n’oubliant pas que le courage de Pasolini fut de proposer une vision radicale et qu’il doit être encore salué pour cette audace. Le dernier quart d’heure, un summum de cruauté, se déroule au son du Carmina Burana de Carl Orff (que Pasolini considérait comme une musique fasciste), ajoutant une graduation au malaise. Controversé, interdit et catalogué comme oeuvre maudite, Salô n’en demeure pas moins d’une force imparable, trouvant toujours un écho aujourd’hui. En somme, aussi dérangeant que « nécessaire ».
ANNEE DE PRODUCTION 1975.