A l’aube des années 30, en Espagne, une jeune et belle orpheline de 18 ans, Tristana, est recueillie par Don Lope, un bourgeois anticlérical, oisif et libéral. Don Juan dans l’âme, ce dernier insiste pour devenir l’amant de Tristana, après avoir tenu le rôle de tuteur. Elle cède à ses avances, mais rencontre bientôt un artiste peintre séduisant, Horacio. Elle abandonne Lope pour vivre sa passion, mais deux ans plus tard, gravement malade, elle revient trouver protection chez lui, totalement transformée…
Adapté du roman éponyme de Benito Perez Galdos, paru en 1892, Tristana vient dans la filmographie de Luis Bunûel quatre ans après Belle de Jour. Dur, acide, cynique, le ton de l’intrigue ne cesse de dérouter, brisant les frontières entre le Bien et le Mal, sous la houlette et l’oeil acéré du maitre espagnol traitant ici de l’amour et ses obsessions, de la conception du couple, de la décrépitude de personnages en proie avec leurs désirs profonds. Don Lope, noble sexagénaire libre penseur et très porté sur le sexe et Tristana, jeune et jolie orpheline innocente prise dans les griffes et la cour assidue de celui qui s’est pourtant comporté en père avec elle: cette perversion dans les rapports fait tout le sel de ce film constamment en équilibre entre l’attraction et la répulsion physiques, entre jeunesse bafouée et vieillissement impitoyable d’un homme qui ne se voit pas dépérir. Sur un canevas classique (mais raconté avec humour et lucidité), Tristana montre l’inversement des situations avec une maestria exemplaire: au début, la jeune fille est soumise et à milles lieux de la rébellion qu’elle développe ensuite quand elle tombe malade et sait qu’elle perd une partie de sa féminité avec l’amputation de sa jambe. La fameuse scène où elle exhibe ainsi son corps mutilé depuis son balcon à un sourd muet halluciné reste gravée dans les mémoires de tout cinéphile.
Bunûel retrouve pour l’occasion son interprète de Belle de Jour: Catherine Deneuve accomplit là un travail magnifique d’incarnation, passant d’un registre à un autre avec une aisance que d’autres réalisateurs n’ont pas su tirer d’elle. Ce rôle marquant compte parmi ses plus belles créations. Face à elle, Fernando Rey, déjà dans la peau du vieil homme avili par sa passion comme il le sera plusieurs années après dans Cet Obscur Objet du désir, livre aussi une performance notable. Dans cette fable aux allures de fausse chronique sentimentale, la mort rôde en permanence, le drame couve, dans un pessimisme redoutable: Bunûel décrit un lent cauchemar, où la vengeance féminine fait tourner la tête de son oppresseur (la montrant décapitée dans une vision plutôt délicieusement macabre). Ce qui est si frappant en revoyant le film plusieurs fois, c’est l’apparente simplicité de son déroulement, alors qu’une inéluctable tragédie se joue sous nos yeux ébahis.
ANNEE DE PRODUCTION 1970.