Sur le campus d’une petite université, George et Martha rentrent d’une soirée arrosée. Un malaise croissant règne dans le couple et Martha, prise de boisson, insulte grossièrement son mari, le couvrant des pires griefs. Martha a invité, sans en aviser George, un couple de nouveaux venus à prendre un dernier verre. George est très contrarié par cette initiative qu’il juge saugrenue étant donné l’heure tardive. Il redoute en outre les excès verbaux de sa femme et lui enjoint de ne parler, sous aucun prétexte, de leur fils au jeune couple.
C’est un euphémisme de dire que Mike Nichols (Le Lauréat, Silkwood, Closer) a pris de gros risques pour démarrer sa carrière de réalisateur de cinéma, car ce premier long métrage est l’adaptation de la très belle pièce d’Edward Albee, créée en 1962, et le triomphe qu’elle connut sur scène était loin d’être acquis à l’écran. Pour raconter cette mémorable longue scène de ménage, Nichols respecte le texte à la lettre, pose sa caméra et fait preuve d’une mise en scène à la fois simple, tenue à distance, et presque observatrice du règlement de comptes se jouant entre les deux époux. Le mariage est devenu un purgatoire pour Martha et George, leurs invectives permanentes (soit sur un ton ironique, soit dans des hurlements accentués par leur alcoolisme chronique) nous est comme jeté à la figure et la tonitruante dispute prend des accents de drame psychologique intense. Vous l’aurez compris, il est absolument impératif d’aimer et d’adhérer au concept de théâtre filmé pour apprécier cette plongée dans l’intimité névrosée de ce couple au bout du rouleau! Entre le scénario solide d’Ernest Lehman, la douce musique mélancolique finale d’Alex North et surtout la superbe photographie d’Haskell Wexler (le noir et blanc apportant une note quasi poétique), Qui a peur de Virginia Woolf? marque des points et suscite de vives réactions, allant de l’émotion à l’agacement.
En effet, si le désarroi et le mal être existentiel de ces deux êtres nous étreint le coeur (particulièrement dans l’ultime quart d’heure), on peut aisément reprocher au film une hystérie globale un peu fatigante sur la durée (2H05). Fort heureusement, le pari est gagné grâce aux compositions historiques du vrai couple (à la ville) Elisabeth Taylor/Richard Burton, que l’on peut applaudir des deux mains. Elle, bouffie, éructante et d’une vulgarité inouie livre sa meilleure prestation d’actrice (Un second Oscar lui fut d’ailleurs attribué). Lui, plus dans la retenue n’en est pas moins touchant avec son regard à la fois tendre et désespéré. Jouer l’ivresse sans tomber dans le ridicule reste un des challenges les plus complexes pour un comédien. Tous deux sont phénoménaux et Mike Nichols orchestre ce qui demeure leur plus beau travail en commun.
ANNEE DE PRODUCTION 1966.