En 1928, Célestine arrive dans une petite gare de Normandie. Elle a été engagée comme femme de chambre chez les Monteil. Elle devient l’objet des privautés du patron, coureur de jupons invétéré, de son beau père, un monsieur âgé fétichiste de la bottine et de Joseph, le garde champêtre des lieux, un type assez déplaisant…
Après Jean Renoir qui l’avait déjà adapté en 1946 à Hollywood avec plus ou moins de bonheur, le roman d’Octave Mirbeau passe entre les mains de l’espagnol Luis Bunûel et devient ainsi le premier de sa série de films à être tourné en français et scénarisé avec son complice Jean Claude Carrière. Bunûel dont on retrouve là l’aversion pour la religion catholique, doublée d’une critique sociale sur la bourgeoisie de province, sur l’hypocrisie des êtres et en situant l’action dans l’entre deux guerres, il présente une France rurale profondément antisémite, décomplexée dans ses propos. Le ton est donc mi comique, mi dramatique et les faits vus à travers le regard de l’héroïne, Célestine, bonne à tout faire mais loin d’être conne, observant ses maitres et tentant d’esquiver les convoitises de tous les bonhommes du coin. Le réalisateur de L’âge d’Or avait essuyé les vives critiques de l’Action Française presque trente ans auparavant et il n’est pas impossible de voir dans cette lecture de Mirbeau un règlements de comptes en bonne et due forme. Toute femme de chambre qu’elle est, Célestine prétend à changer de condition sociale et à s’élever et « met le doigt » sur les bassesses et les travers de ces bourgeois vicieux et capricieux. Bunuel n’est pas loin d’un certain cynisme et tout le monde en prend pour son grade dans une mise en scène tout à la fois élégante et un peu étrange (absence de musique, rien qui rappelle son habituel surréalisme, caméra non intrusive).
Cette étude de moeurs, où l’on évoque aussi bien le fétichisme des bottines que le racisme, les perversions sexuelles ou le meurtre d’une innocente enfant, est jouée par une distribution de qualité, dans laquelle se croisent Jean Ozenne, Michel Piccoli (extra en mari frustré), George Géret, Daniel Ivernel. Et évidemment l’atout majeur du film réside dans l’interprétation de Jeanne Moreau, faussement candide, coquine sans être aguicheuse, intelligente et instinctive: une actrice avec un A majuscule. Avec cette peinture féroce du populisme se préparant à céder aux idéaux du nazisme approchant, Bunûel réalise une de ses oeuvres les plus affutées.
ANNEE DE PRODUCTION 1964.