Le producteur Kirk Edwards et le réalisateur Harry Dawes sont à la recherche d’une nouvelle star pour leur film. Ils découvrent alors celle ci sous les traits de Maria Vargas, danseuse de cabaret à Madrid, et l’engagent sur le champ. Sous le nom de Maria d’Amata, la jeune femme devient une star presque immédiatement. Mais la faune hollywoodienne lasse vite l’actrice qui se sent perdue et seule dans cet univers clinquant qui ne lui ressemble en rien: elle a conservé sa simplicité et son désir de rencontrer l’homme de sa vie…
Avec son ouverture sublime située dans un petit cimetière italien sous une pluie battante, La Comtesse aux pieds nus annonce la couleur: celle d’une tragédie moderne que nous raconte en voix off et en flash backs, le personnage masculin, Harry Dawes, scénariste et réalisateur, sur la destinée de Maria D’Amata, ancienne danseuse espagnole devenue star adulée et morte prématurément. Avec le même principe que pour Citizen Kane, l’immense Joseph L. Mankiewiscz (Eve, Chaines Conjugales) développe plusieurs points de vue pour mieux cerner l’insaisissable personnalité d’une jeune femme restée désespérément « simple », incurablement romantique et lancée dans une jungle de parvenus, d’ambitions dévorantes, de richesses scandaleuses et de matérialisme destructeur. Le film voyage entre trois univers: de l’impitoyable milieu hollywoodien à la jet set française, puis à l’aristocratie italienne. Autant de « mondes » factices allant à contre courant de l’authenticité naturelle de cette « comtesse », inspirée du parcours de Rita Hayworth. Le lyrisme élégant de la mise en scène, la profondeur des dialogues (foisonnants il est vrai), décrivent la lente destruction d’une déesse, trop fragile pour supporter les faux semblants des hommes qui la croisent, la courtisent, souvent pour simplement briller à ses côtés, se servir d’elle, jouir de sa notoriété, sans se soucier de qui elle est vraiment. A la manière d’un conte de fées à la Cendrillon (citée d’ailleurs souvent), La Comtesse aux pieds nus fascine, fait rêver, avant de mal tourner et de finir plus dramatiquement encore, manière de s’éloigner davantage des fausses « happy ends » de rigueur.
Alors au sommet de sa beauté sculpturale, Ava Gardner incarne le personnage le plus emblématique de sa carrière (avec Pandora): divine, irréelle, il faut la voir danser pour les Gitans pour le croire, pour se faire ne serait ce qu’une vague idée de sa photogénie exceptionnelle. Elle est en outre sublimée par le chef opérateur Jack Cardiff qui n’est pas exactement un manchot dans sa catégorie. Humphrey Bogart traverse le film avec sa nonchalance habituelle, sans doute plus « tendre » que dans ses compositions antérieures, jouant le pygmalion et le confident, le seul sûrement qui comprend la jeune femme dans son désarroi et sa solitude. Oeuvre subtile au Technicolor flamboyant rehaussé d’un Cinémascope lui conférant une grandeur supplémentaire, La Comtesse aux Pieds Nus confronte la lucidité à l’amertume, le faste au sordide.
ANNEE DE PRODUCTION 1954.