Benny a quatorze ans: une adolescence bourgeoise, des parents absents accaparés par leur travail, un vide affectif qu’il noie dans l’univers de la vidéo. Il se gave d’images, pour la plupart violentes. Un jour, il rencontre une lycéenne de son âge qu’il invite chez lui pour lui faire partager sa passion. Sans raison apparente, presque par automatisme, il la tue. Exactement comme il l’a vu faire dans une des vidéos qu’il s’est passé en boucle. Il avoue peu après le meurtre à ses parents, aussi dévastés que désemparés. Le père décide de se débarrasser du corps, pendant que la mère et Benny partent une semaine en Egypte pour « oublier »…
Entre le terrible Septième Continent et le malaisant 71 Fragments d’une chronologie du hasard, le cinéaste autrichien Michael Haneke délivrait cette oeuvre très dérangeante par son calme, sa froideur clinique, son mutisme effrayant. Benny’s Vidéo nous décrit la quotidien répétitif et vide de sens d’un adolescent à priori ordinaire, juste dénué d’affect, de la moindre conscience et agissant tel un robot. Après avoir tué une jeune fille « pour voir comment ça fait » selon ses propres mots, il semble juste ennuyé et contrarié, à milles lieux de la gravité des faits, incapable de réaliser l’horreur de son geste, comme anesthésié. Haneke nous interroge sur la violence des images, sur l’inhumanité d’une société préférant enfouir la réalité « sous le tapis » plutôt que se confronter à la responsabilité collective que des comportements comme celui de Benny engendre, il nommera lui même cet état de fait de « glaciation émotionnelle ». Pour être plus percutant encore, le réalisateur filme tout en plans fixes, étirés, installant le malaise jusqu’à la nausée dans un traitement épuré à l’extrême, sans effusion de dialogues ni effets spectaculaires. Ainsi, même le meurtre restant en hors champ, est suggéré de façon « normale » comme pour signifier qu’il n’a pas plus d’importance qu’un autre acte du quotidien.
Malsain et complexe à la fois, le but d’Haneke est de réveiller les consciences, de pointer du doigt les dysfonctionnements à tous les niveaux (il décrit aussi l’attitude irresponsable des parents, coupables de leur silence et complices du pire, prêts à tout pour « effacer » un acte qui les dépasse). Employant des comédiens qu’il retrouvera à plusieurs reprises ensuite comme Arno Frisch ou Ulrich Mühe, l’auteur de La Pianiste se garde bien de tout discours moralisateur, abolissant au contraire toute distance entre le regard et les choses vues. Choquant et psychologiquement dur, Benny’s Video porte en lui cette capacité inflexible à saisir l’horreur de notre monde moderne. Cette banalisation de la violence atteindra évidemment son point culminant, quatre ans plus tard, avec son oeuvre la plus controversée (et la plus insoutenable), Funny Games.
ANNEE DE PRODUCTION 1993.