Le milliardaire Charles Foster Kane, un magnat de la presse, vient de mourir dans sa fabuleuse propriété de Xanadu, en prononçant un dernier mot énigmatique: Rosebud. Thompson, un reporter, va essayer d’en trouver la signification en enquêtant dans son entourage et en retraçant l’existence chaotique du grand homme…
Chef d’oeuvre tant de fois commenté, décortiqué, salué par des générations entières de cinéphiles et de critiques de par le monde, Citizen Kane revêt son caractère monumental et unique à bien d’un titre. D’abord, il est une date clef du cinéma américain pour avoir été écrit, produit, réalisé et joué par un seul et même homme de 25 ans à peine: Mr Orson Welles. Hormis Chaplin, personne n’avait relevé pareil défi. Ensuite, il se distingue par son évocation à peine romancée de la vie du magnat William Randolph Hearst, propriétaire d’un immense empire de presse, et qui n’apprécia pas beaucoup la vision que Welles donna de lui. Celle d’un homme mégalomaniaque, ultra ambitieux, obsédé par son image, égocentrique et incapable d’aimer, sinon par intérêt ou par calcul. Le film dépeint une ascension sociale, personnelle avec ses fulgurances, ses zones d’ombres, l’étude d’un sultan à l’humour mordant et à l’esprit vif, écrasant tout de son mépris et de son sentiment maladif de supériorité. Au delà de ce personnage faustien plus grand que la vie, Welles accouche d’une oeuvre incroyablement moderne et avant gardiste (on est en 1941), utilisant des profondeurs de champ audacieuses, des cadrages insensés, n’hésitant pas à mélanger des travellings grandioses à des gros plans ingénieux. Une prouesse technique qui jurait avec les habitudes souvent très sclérosées des studios américains.
L’histoire nous est racontée en flash backs, mais avec des retours dans le passé qui enchevêtrent les actions, les souvenirs des uns, les déclarations des autres, et ce puzzle d’une vie se reconstitue sous nos yeux avec une habileté désarmante et virtuose. Welles nous fait rentrer dans le labyrinthe touffu qu’est l’esprit de Kane, en proposant en même temps une critique des médias, une charge contre les dérives de la politique, et la destinée humaine d’un ogre surpuissant et autoritaire. Son montage vertigineux et sa photographie inventive (due à Gegg Toland) rendent véritablement Citizen Kane incomparable dans l’histoire du 7e Art. L’énigme qui court sur toute la durée du film et consistant à trouver le sens du mot « Rosebud » est bien sûr un prétexte à souligner une terrible réalité: la soif de pouvoir de Kane ne l’a mené nulle part, le rendant odieux avec les deux femmes qu’il épousa, et il meurt seul, pleurant la simplicité perdue de son enfance. Le cinéaste saisit la vacuité de toute existence avec cette féroce conclusion. Pour toutes ces raisons, et d’autres moins évidentes au premier abord, Kane garde son insolente jeunesse et n’en finira pas d’influencer et d’éclairer notre vision du cinéma. Comme hors de l’atteinte du temps.
ANNEE DE PRODUCTION 1941.