A Anvers, dans le quartier des quais, le « Big Moon » est l’une de ces boites à matelots où les équipages à l’escale profitent de plaisirs tels que la boisson et les filles. Dédée, l’une d’elles, est sous la coupe de Marco, son proxénète, un individu méprisable. Un soir, Dédée fait la connaissance de Francesco, un marin italien, dont elle tombe amoureuse. Elle ne sait pas comment annoncer à René, le patron du Big Moon, qu’elle a des envies de changer de vie…
Avant guerre, le cinéma français se distinguait par son réalisme poétique, initié en grande partie par Prévert et Carné, et puis les horreurs du conflit mondial, les traumatismes liés à l’Occupation ont changé les mentalités et le style de mise en scène s’est assombri, asséché. Dédée d’Anvers rentre dans cette catégorie de films pessimistes et frappés par les désillusions d’une France meurtrie dans sa chair. Yves Allégret le réalise en pensant pourtant un peu rendre hommage à ce réalisme d’antan, du moins dans la description de ces bas fonds, ces filles de mauvaise vie, ces maquereaux veules et lâches, le tout dans les décors brumeux des quais d’Anvers, rappelant bien sûr Quai des Brumes. Mais Allégret réfute toute volonté de faire « poétique », au contraire il va à l’os des personnages et de leurs comportements, ne lésinant pas sur la saleté et le sordide. Par le travail de Jean Bourgoin, le chef opérateur, le film bénéficie d’effets de lumières dignes de l’école expressionniste. Quant au récit, autant avouer qu’il est des plus classiques avec sa cohorte de prostituées au grand coeur et ses marins romantiques, sans compter la caution mélodrame qui intervient dans l’ultime partie. Mais Dédée d’Anvers n’est pas du mélo cul cul et facile, il est dur, sans concessions, âpre.
Au milieu de deux figures masculines fortes (l’ignoble souteneur joué par Marcel Dalio, le tenancier du bordel campé par un Bernard Blier au jeu déjà « installé ») gravite Dédée, composée par Simone Signoret à l’aube de sa grande carrière et qui impulse au rôle une humanité éclatante. Elle est tout simplement l’âme du film. Plus décevant demeure l’interprétation de son « amoureux italien » sous les traits de Marcello Pagliero, trop terne et effacé. Yves Allégret signe un drame saisissant qui n’a toutefois pas la puissance nihiliste de son film suivant, le terrible Manèges où il dirige à nouveau Signoret et Blier.
ANNEE DE PRODUCTION 1948.