1929/1982
Grace Patricia Kelly vit le jour en Novembre 1929, dans la ville américaine de Philadelphie. Issue d’une famille très aisée, son père John B.Kelly est un riche entrepreneur, grand sportif récompensé par trois médailles d’or Olympiques, tandis que sa mère Margaret est une ancienne championne de natation et mannequin à ses heures perdues. Elle cumule des origines irlandaises et allemandes, qui font d’elle une jeune fille à la beauté indiscutable. Le sport n’étant pas son hobby favori, Grace cultive un net penchant pour la littérature, les arts en général et admire très tôt son oncle dramaturge, George Kelly, qui va lui donner l’amour du théatre, dès l’âge de douze ans. Son père prend ca pour une lubie et ne juge pas très sérieux cette inclination, alors même que sa fille monte sur les planches pour jouer dans Don’t feed the animals. Il lui faut bien entendu poursuivre ses études afin d’obtenir un diplôme lui garantissant un avenir tout tracé, mais Grace veut brûler la vie par les deux bouts et préfère prendre le risque de se tromper, en choisissant de quitter le cocon familial, afin de rejoindre New York, où se dit elle, elle pourra tenter de percer dans le domaine de la comédie. Elle entre à 17 ans à l’American Academy of Dramatic Arts, poussé par son ambition et son désir de prouver qu’elle est faite pour ce destin, dont personne ne croit qu’il pourra devenir réalité. D’abord mannequin de mode, elle pose pour des publicités (Coca Cola, Colgate), tout en apparaissant dans plusieurs pièces de théatre, entre 1947 et 1950, sans qu’aucune ne remporte de réel succès et ne la fasse connaitre. Timide et réservée, la comédienne débutante est assidue et veut toujours s’améliorer, usant d’une discipline de fer, qui finit par payer lorsqu’elle est engagée pour un petit rôle dans 14 Heures, un mélodrame à suspense tiré d’un fait divers réel. Son jeu n’est pas vraiment remarqué par la critique, mais un certain Gary Cooper la trouve si charmante qu’il demande à ce qu’elle devienne sa partenaire dans le prochain western qu’il tourne en 1951, et pas des moindres: Le Train sifflera trois fois! La carrière de la séduisante actrice aurait pu démarrer sous des auspices moins glorieuses.
Quelles sont les qualités si particulières de cette nouvelle venue à Hollywood? Elle en détient beaucoup, mais avant tout sa beauté aimable, sa classe permanente, mêlés à un style chic, fort et innocent à la fois sont autant d’atouts qu’elle met habilement en avant, avec en prime une excellente éducation catholique très prisée à l’époque, car le public aimait aussi bien les jeunes filles « bien comme il faut » que les femmes fatales du type Marilyn Monroe ou Rita Hayworth, à l’opposé de Grace justement. Ultra photogénique, elle continue d’ailleurs à poser pour des grands photographes, subjugués par son élégance impeccable, son port de tête et son visage angélique. En 1952, elle est embarquée dans l’aventure folle de Mogambo , sous la direction de John Ford, racontant un trio amoureux explosif et des aventures exotiques, tournées en Afrique. Ce troisième film de sa carrière lui permet de côtoyer le vétéran et toujours séduisant Clark Gable et la bombe brune incendiaire Ava Gardner. En jouant la jeune blonde un peu rigide et tentant de ne pas tomber amoureuse de cet homme qui pourrait être son père, elle s’impose avec un fort tempérament de vraie comédienne. La rencontre phare qui l’attend juste après aura les répercussions les plus brillantes qu’on puisse imaginer: le génial Alfred Hitchcock a remarqué son allure de grande Dame, lui qui adore les blondes flegmatiques aux gants blancs. Il l’engage pour son thriller diabolique intitulé Le Crime était presque parfait. L’alchimie professionnelle entre Grace et le gros metteur en scène anglais va s’avérer extraordinaire, ils se comprennent d’emblée, lui est sous son charme et elle se laisse diriger avec une minutie et une application studieuses. Il fait d’elle son actrice fétiche et elle devient une Star, car le public se déplace en nombre pour faire un triomphe à leur collaboration. En 1953, elle est de nouveau devant sa caméra pour Fenêtre sur Cour, donnant la réplique à James Stewart, dans ce huis clos passionnant sur le voyeurisme et sur un meurtre commis que l’on tente d’élucider. Grace joue une mondaine adorable, aidant son fiancé à résoudre l’intrigue, affublée des toilettes les plus chics, mettant en valeur son physique de rêve. Nouveau carton au box office.
Hitchcock admirait chez sa muse ce mélange étonnant de froideur apparente et de sensualité exacerbée. La désinvolture et la réserve distante de Grace font merveille, ainsi qu’une sophistication raffinée que peu de déesses de l’écran possédait, elle était un diamant brut et les Studios ne pouvaient qu’en profiter pleinement, lui offrant des rôles à foison. Pourtant, elle décide de ne pas tourner à outrance, elle économise sa santé assez fragile et s’octroie aussi le temps de vivre et d’aimer. On lui prête plusieurs liaisons (supposées ou réelles) avec Ray Milland, William Holden, Franck Sinatra, pourtant son idylle la plus sérieuse est celle qu’elle entretient avec le couturier russe Oleg Cassini. Elle est sollicitée, en 1954, pour plusieurs projets dont deux longs métrages d’aventures: Les Ponts de Toko Ri et L’Emeraude Tragique, dans lesquels elle joue les jolies potiches amoureuses du héros masculin, et qui n’apportent rien de plus valorisant à sa gloire. Elle retrouve un rôle digne de ce nom dans le beau drame Une Fille de la Province, tiré d’une pièce à succès de Broadway. Cette histoire mélodramatique contant les amours impossibles d’un metteur en scène de théatre et de la femme d’un comédien déchu lui donne l’occasion de prouver ses dons de tragédienne. Mal attifée, peu coiffée et presque pas maquillée (un comble pour elle!), Grace est époustouflante de vérité dans sa composition de femme déchirée, pitoyable, à bout de nerfs. Contre toute attente, elle décroche l’Oscar de la meilleure actrice en Mars 1955, alors qu’elle n’était pas favorite. Sa consécration éclatante donne tort à tous ceux qui ne voyaient en elle qu’une belle blonde sans épaisseur. Bien que son charme s’adressait surtout à un public masculin, son image est totalement compatible avec le concept de respectabilité véhiculée par les magazines féminins, dont elle fait très souvent la couverture. Sir Alfred lui propose un troisième film qu’il tourne sur la Côte d’Azur avec Cary Grant en vedette, il s’agit de La Main au Collet, une comédie policière divertissante, bien que mineure dans l’oeuvre du Maitre. Ce tournage joyeux lui permet pour la première fois de visiter la France et les alentours de Cannes et de Monaco, qui allait bientôt la rappeler à elle. De retour en Amérique, elle ne sait pas encore qu’il ne lui reste plus qu’un an à peine, avant que son destin ne bascule à nouveau radicalement.
En cette année 1955, notre héroïne ne va faire qu’un seul film, signé King Vidor, appelé Le Cygne, dans lequel elle tient le rôle d’une princesse de haut rang destiné à être mariée à un de ses cousins plus âgé. Une belle ironie du sort, puisque lors du dernier festival de Cannes, elle a rencontré le Prince Rainier de Monaco, avec qui des affinités sont nées. Pourtant, les rumeurs persistantes évoquent dans le même temps, une liaison avec l’acteur français Jean Pierre Aumont, avec qui elle passe de longues journées. En réalité, il semblerait qu’une sorte de coup de foudre ait eu lieu entre Grace et Rainier, et qu’en quelques mois, ils décident de se marier. Lui vient faire sa demande officielle à Philadelphie pour rencontrer les parents de l’actrice, obtient une réponse positive et dès ce jour là, la vie de Grace vire au conte de fées. Tous les préparatifs sont lancés, la nouvelle affole la planète et les échotiers s’en font les gorges chaudes. Début 1956, elle a encore le temps de jouer dans une comédie musicale, aux côtés de Bing Crosby et Franck Sinatra, Haute Société, une sorte de remake en couleurs du film Indiscrétions. Elle y apparait plus ravissante et épanouie que jamais, y chante admirablement et ce sera son chant du cygne cinématographique, à 26 ans à peine. Son coeur et ses pensées sont déja ailleurs. En avril, grand départ pour l’Europe afin de devenir la future Princesse de Monaco, en épousant un homme qu’elle connait depuis un an seulement. Sait elle réellement que ce virage à 180° va modifier tout le cours de son existence? Le 19 Avril, devant des milliers de paparazzis, des centaines d’invités prestigieux, elle épouse Rainier et dit adieu à Hollywood, à sa carrière, à sa passion de jouer. Le mariage royal est même filmé par les pontes de la MGM comme s’il s’agissait d’une fiction dans laquelle brillerait leur star. Sauf que cette fois, même quand les moteurs des caméras cessent de tourner, Grace doit tenir son rôle au quotidien, toujours soucieuse de donner le meilleur d’elle même, de mettre sa fraicheur au service de sa nouvelle responsabilité de femme. Etre princesse exige de la tenue en toutes circonstances, une rigueur qu’elle connait bien, et elle va s’employer à rentrer dans le coeur des Monégasques avec l’identique sérieux, dont elle faisait preuve en tant que comédienne. Elle adorait son métier, mais détestait Hollywood, qu’elle jugeait sinistre et mortifère, loin de ses valeurs profondes. Maintenant, elle est prête pour le second acte de sa vie, et certainement le plus important.
Désormais, son existence dorée s’articule entre les galas de bienfaisance, les soirées à l’Opéra, les diners mondains où les Rainier reçoivent tout le gotha mondial. Scrutée à la loupe, Grace est en représentation constante, en ambassadrice impeccable, elle attire tous les regards, et devient marraine de plusieurs associations humanitaires, de la Croix Rouge à l’Unicef. Elle n’est pas seulement une belle Princesse radieuse et amoureuse, mais un être humain charitable et à l’écoute de sa Principauté. Elle donnera naissance à trois enfants (Albert, Caroline et enfin Stéphanie) et tient son rang avec classe, comme d’habitude, sans jamais rien laisser paraitre de ses états d’âmes, de ses éventuels regrets ou de ses désirs enfouis. Symbole de la dignité et de l’honnêteté, ses qualités ancestrales se conjuguent idéalement avec le caractère de Rainier, leur attachement est indéniable, cependant on peut se demander si le protocole assez lourd de cette vie n’a pas fini par provoquer chez elle une lassitude ou un épuisement. En 1962, son ami Alfred Hitchcock fait des pieds et des mains pour qu’elle fasse son retour au cinéma dans son film Pas de printemps pour Marnie. La proposition l’enchante et l’attire sincèrement, mais une grave crise entre Monaco et la France se déroule au même moment, De Gaulle accusant la Principauté de favoriser la dissimulation fiscale et Grace comprend qu’elle doit faire front auprès de Rainier et dire non aux sirènes de son ancien emploi. Son chagrin d’avoir abandonné définitivement le cinéma et d’avoir cessé d’être Grace Kelly fut sans remède. La vie rangée et dévouée à un strict conservatisme qu’elle a choisi, au delà de l’aisance financière, fut elle heureuse alors?
Elle incarna la perfection comme nulle autre, toujours pudique dans chaque entretien qu’elle accorda à la presse, elle s’ingéniait à ne montrer que la surface des choses, ne livrant que des confidences triées sur le volet. La surmédiatisation qu’elle vécut pendant tout son règne devait peser lourd sur ses frêles épaules, elle qui ne montrait jamais son abattement ou ses fêlures. Au milieu des années 70, elle commença à prendre du poids, les premières rides advinrent, ne gâchant en rien son sourire constant, dans lequel on pouvait parfois lire un peu de tristesse aussi. La monotonie de son oisiveté s’accentua surtout lorsque ses enfants quittèrent le nid et que la cinquantaine arriva, chargeant avec elle son lot de bilans. De sirène de la Cité des Anges, elle avait voulu dépasser le mythe en devenant cette Princesse que le monde entier portait aux nues, mais au fond elle avait dû mettre en sourdine sa légèreté, sa drôlerie et son insouciance. Sa passion pour les fleurs et la peinture ne suffisaient plus à combler le vide qu’elle ressentait parfois. Oscar Wilde a dit que « ceux qui sont un symbole le sont à leurs risques et périls » et cette phrase terrible sied parfaitement à la destinée hors du commun de Grace. Le conte de fées allait connaitre une fin prématurée. Le 13 Septembre 1982, la Princesse choisit de conduire elle même la jeune Stéphanie à un stage de stylisme. Au volant de sa voiture, elle emprunte la route de la Turbie, la même sur laquelle elle faisait de la vitesse avec Cary Grant à ses côtés pour les besoins de La Main au Collet, et au détour d’un virage, le véhicule fait une embardée et chute dans un ravin de 35 mètres. Grace fut grièvement blessée, transportée d’urgence à l’hôpital, où elle tomba dans un profond coma. Elle succomba le lendemain, sans avoir repris connaissance. Ainsi s’acheva tristement, à 52 ans seulement, l’existence incroyable de celle qui fut l’Etoile sur le Rocher. Ses funérailles eurent lieu quelques jours plus tard, dans une foire médiatique inégalée, où le chagrin de Rainier et de ses enfants fut filmé de manière impudique. Inhumée ensuite dans la Chapelle des Princes souverains de Monaco, pleurée par la planète entière, Grace repose en paix, figée pour toujours dans son intouchable légende.