Paris, 1938. Dans un hôtel proche du Canal Saint Martin, on fête une communion. Les clients de l’hôtel et les patrons célèbrent l’événement autour d’un repas. Ils ne se doutent pas que dans un étage, un couple de jeunes amoureux a pour but de se suicider mutuellement. Un seul coup de feu retentit: la jeune femme est grièvement blessée, l’homme a disparu. Dans ces mêmes lieux, vivent aussi Raymonde, une prostituée et son mac, M. Edmond…
Juste après le triomphe de Quai des Brumes, Marcel Carné, un des maitres du cinéma français, fut en charge d’adapter un roman d’Eugène Dabit et en signa la mise en scène pendant l’été 1938. Apogée du populisme cinématographique, Hôtel Du Nord bénéficie à l’écriture de deux pointures, Jean Aurenche et surtout Henri Jeanson (certainement le dialoguiste le plus brillant avec Michel Audiard et Jacques Prévert), aux décors d’Alexandre Trauner qui fera par la suite ceux de Le Jour se lève et Les Enfants du Paradis, et s’inscrit dans la veine du réalisme poétique cher à cette époque troublée d’avant guerre. Au centre du récit, un couple d’amoureux maudits pour accentuer le drame, mais entouré d’une galerie de personnages pittoresques ayant aussi leur importance. Un pessimisme ambiant hante tout le film, alors même que les répliques sont souvent drôles et qu’une sorte de comédie « sombre » n’est pas absente du sujet. Le film frappe encore aujourd’hui par sa grande beauté esthétique, son noir et blanc admirable, ses travellings astucieux et ses gros plans de visages faisant la part belle à des images très bien structurées. Carné imbrique en fait dans son scénario deux histoires distinctes: celle de Renée et Pierre, les « suicidés » du départ s’aimant de manière désespérée, et celle de Raymonde et Edmond, une pute au grand coeur et son mac maniaque.
De toute évidence, Carné a soigné aussi sa distribution, en confiant le premier rôle féminin à Annabella, une star des années 30 un peu surcôtée (charmante mais assez terne avouons le!), sans se douter que ce sont les seconds rôles qui vont marquer les esprits et faire la gloire mythique du film. Louis Jouvet est épatant comme toujours, Jane Marken à l’accent parisien prononcé tient le personnage de l’hotellière, François Périer (à ses débuts) joue un jeune homme efféminé et certainement homosexuel (le terme n’est jamais énoncé, mais Carné a eu l’audace de l’inclure dans le récit à une époque où les gays étaient invisibles). Enfin, comment ne pas nommer Arletty, véritable bombe, gouailleuse, impertinente, vulgaire et attachante à la fois, et qui acquiert là son statut de star? Sa réplique: Atmosphère Atmosphère étant restée comme une des plus légendaires qui soient! Hôtel du Nord demeure un classique incontournable pour sa poésie, ses acteurs et sa façon de témoigner d’un Paris qui n’est plus.
ANNEE DE PRODUCTION 1938.