Le dernier jour de la Première Guerre Mondiale, Joe Bonham, engagé volontaire, est mis en pièces par un obus sur le champ de bataille. Il n’a plus ni bras, ni jambes, ni visage. Privé aussi de l’ouïe, de la vue et de l’odorat, son cerveau fonctionne encore malgré tout et il devient un sujet d’étude médicale. Dans sa longue solitude, Joe se souvient de sa vie d’avant…
Scénariste prolifique, hélas blacklisté pendant de longues années car accusé de sympathies communistes lors du maccarthysme, Dalton Trumbo souhaitait absolument réaliser un film qui serait une charge féroce et définitive contre la guerre et ses conséquences atroces. Sa seule réalisation fut donc ce Johnny s’en va t’en guerre, une oeuvre choc défiant l’entendement par sa faculté à déranger, questionner et condamner aussi bien les conflits armés que la tyrannie médicale. Son jeune héros, un soldat amputé et défiguré, ne peut plus se mouvoir ni communiquer normalement et survit tel un tronc immobile en se plongeant dans les souvenirs de sa jeunesse passée. Celle d’avant le sacrifice. La dureté du script a marqué toute une génération de spectateurs, les images alternant le noir et blanc pour signifier la sinistre réalité du présent et la couleur pour décrire les rêves ou les moments heureux vécus par le jeune homme. Son calvaire déchire évidemment le coeur, mais Trumbo n’a pas voulu juste « apitoyer », il frappe un grand coup en offrant une expérience traumatisante: celle d’être dans la propre tête du malheureux. D’une noirceur totale, ce cauchemar éveillé réussit la prouesse d’éviter les lieux communs pacifistes ou humanistes en restituant toute la force du roman, écrit par Trumbo lui même.
Le cinéaste parvient aussi un autre exploit: suggérer l’horreur des mutilations du corps sans les filmer frontalement, les rendant encore plus saisissantes dans notre imaginaire. Vu dans La Dernière Séance de Bogdanovich, le jeune Timothy Bottoms s’avère génial dans le rôle principal, car il allie à la fois la puissance physique du soldat prêt à se battre et la vulnérabilité terrible dont il est la proie ensuite. Son visage respire aussi une certaine insouciance foudroyée. Parmi les seconds rôles, on reconnait Jason Robards ou Donald Sutherland en figure Christique idéalisée. Aussi poignant que nécessaire, ce cri de révolte est sorti en pleine guerre du Vietnam, mais son intensité résonne encore de nos jours, partout où des bombes sont lâchées, où les armes parlent, où des innocents meurent. Grand Prix Spécial du Jury à Cannes nullement contestable.
ANNEE DE PRODUCTION 1971.