Quatre vieux copains s’enferment dans une grande villa avec de monstrueuses provisions de victuailles pour un suicide collectif, organisé sous la forme d’une orgie gigantesque où sexe et nourriture se mêlent…
Avant cette oeuvre choc, l’italien Marco Ferreri avait surtout crée quelques petits remous dans son pays avec des films subversifs comme Le Mari de la femme à barbe ou Dillinger est mort, mais n’avait jamais fait éclater de scandale comme celui qui accompagna la présentation de La Grande Bouffe au festival de Cannes, essuyant sifflets, insultes, quolibets et critiques assassines et révoltées. Provocateur et jamais en reste pour choquer le bourgeois, Ferreri revendique un côté « anar » très marqué et enfonce le clou avec ce film, véritable pamphlet contre la société de consommation qu’il considère comme « malade » et révoltante. Alors oui, il n’y va pas avec le dos de la cuillère et repousse les limites avec un scénario radical fondé sur une idée de « mourir par la bouffe » jusqu’à s’en faire péter le bide (dans tous les sens du terme), quelque part entre une comédie acide et une tragédie humaine désespérée. Il filme avec complaisance et goût pour l’excès la profusion de plats dégustés et dévorés par les quatre personnages masculins, bien décidés à se remplir jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cette bourgeoisie coincée dans une villa à l’aspect funèbre, appelée à être leur tombeau, est observée avec ironie, virulence et sans concessions par Ferreri, épinglant là les perversions et les rites d’une société qu’il vomit littéralement (c’est le cas de le dire!). L’intelligence du réalisateur italien ajoutée à sa malignité font que le propos, pour aussi dérangeant qu’il soit, ne porte jamais de jugement hâtif, il constate juste une autodestruction en règle par les plaisirs de la chair et de la bouche.
Fable politique jusqu’au boutiste, scatologique, funeste et où le rire est souvent jaune, La Grande Bouffe n’aurait pas la force de frappe intacte, encore aujourd’hui 50 ans après sa tumultueuse sortie, sans son quatuor d’acteurs complices et complémentaires: Marcello Mastroianni, Michel Piccoli, Philippe Noiret et Ugo Tognazzi, chacun acceptant de jouer des partitions extrêmes avec une dérision formidable! Le contrepoint féminin, en la personne d’Andréa Ferréol, joliment enveloppante par ses formes et son appétit sexuel, ajoute un semblant de douceur dans ce sinistre bal nihiliste. Les réactions de rejet furent immédiates et toutes dénoncèrent une oeuvre immonde et blasphématoire, se vautrant dans la vulgarité. Pourtant, au delà du scandale, comment nier cette capacité à montrer une civilisation gavée à outrance, étouffée par son opulence obscène?
ANNEE DE PRODUCTION 1973.