Alors que le marché noir sévit dans le Paris de l’Occupation, le brave Martin est chargé par l’épicier Jambier d’acheminer à l’autre bout de la ville un cochon entier proprement découpé. Abandonné par son habituel coéquipier, Martin entraine avec lui Grandgil, un individu mystérieux dont le comportement l’inquiète. Dans cette randonnée périlleuse, chacun risque sa peau, d’autant que les rondes allemandes vont bon train…
Inspiré d’une courte nouvelle de Marcel Aymé, La Traversée de Paris reste sans nul doute le plus connu de tous les films de Claude Autant Lara. Il s’est entouré des meilleurs dialoguistes de l’époque Jean Aurenche et Pierre Bost, du décorateur Max Douy, et a signé un chef d’oeuvre d’humour noir sur… le marché noir! Avec un esprit anarchiste salutaire (avant, hélas avec l’âge, de virer à l’extrême droite), Autant Lara fait une peinture aussi cynique qu’insolente de la période de l’Occupation: en montrant la roublardise des exploiteurs et la petitesse des exploités, les renvoyant dos à dos et dénonçant leur sinistre cupidité commune. C’est une France à deux visages que l’on découvre, celle des privations, des coupures d’électricités, des valises pleines de barbaque trimballées dans la capitale pour survivre, et pourtant le film met la comédie au premier plan avec ses gags succulents, ses séquences cultes (Jambier! Jambier!), ses répliques dignes de Céline (Salauds de pauvres!). Dans un noir et blanc admirable aux accents expressionnistes, La Traversée de Paris rappelle qu’en ces temps troublés, tout paraissait possible: le crime comme la vertu et que comme d’habitude, seuls les nantis gagnent la partie. Au départ, on prend le film comme une farce sans conséquences et en définitive, le fond du propos nous rattrape et ce drôle de drame s’affiche dans toute sa splendeur.
Pour rendre la langue de Marcel Aymé encore plus poétique et vivante, Autant Lara a misé sur un casting en or! Le duo Bourvil/Gabin, éternel, ajoute un supplément de grandeur. Bourvil dont la douceur et la « naiveté » tranche avec le tonitruant Gabin, imposant dans ses mots comme dans son physique agressif. Ils sont flanqués d’un troisième larron (et pas des moindres), Louis de Funès, en épicier excité (un pléonasme pour lui) négociant sa marchandise au plus offrant et au plus hurlant! Alors ce chef d’oeuvre intemporel est il du lard ou du cochon? Les deux mon capitaine et on veut bien en reprendre une bonne tranche!
ANNEE DE PRODUCTION 1956.