A Hollywood, une nuit, une jeune femme brune devient amnésique suite à un accident de voiture. Elle se réfugie chez Betty, une belle fille blonde, apprentie comédienne et récemment débarquée dans la Cité des Anges. En plus de tomber amoureuses, les deux femmes vont entreprendre de découvrir l’identité de la première.
David Lynch nous a habitués depuis son premier film Eraserhead à nous plonger dans le mystère souvent insondable de ces scénarios à tiroirs et puissamment construits. Avec Mulholland Drive, on atteint un niveau de perfection réellement impressionnant. A la fois puzzle sombre et déroutant, nous assistons à un mélange des genres quasi inédit, allant du thriller noir au drame psychologique, puis dérivant vers la satire hollywoodienne et enfin au grand film d’amour, avec même par moments des touches d’humour! Il faut être un vrai génie pour se permettre de tels écarts et Lynch prouve une fois encore toute sa maîtrise de mise en scène, son sens du bizarre, son amour des faux semblants. Il dresse deux beaux portraits de femmes, antinomiques et complémentaires, une blonde et une brune aussi sexys et sensuelles, l’une d’abord perdue et vulnérable et atteinte d’amnésie, l’autre fonceuse, directe, et prête à tout pour devenir une actrice reconnue. Mais Betty est sûrement aussi un peu Rita (le surnom de la brune) et Rita s’approprie également un peu du caractère de Betty.
Le film nécessite une attention soutenue de par ses multiples pistes et ses nombreux personnages secondaires (et en fait tous essentiels), le spectateur doit rester à l’affût de chaque indice, surveiller les plans à la loupe et se laisser porter par ce récit énigmatique et superbe. Deux parties bien distinctes se dégagent: presque 1H30 de ce qui ressemble à un rêve éveillé, entre images somptueuses et délicieux pièges complexes, dans lesquels il est bon de se perdre. Qu’importe qu’on ne comprenne pas tout du premier jet, c’est aussi ça la marque des films les plus brillants! L’heure suivante s’apparente davantage à un cauchemar ou à la réalité que vit enfin Betty, elle qui n’a fait jusque là que se bercer d’illusions. Justement tout n’est qu’illusion semble nous dire le cinéaste et cela tombe bien, puisque on est aussi au coeur d’un voyage au pays du cinéma. Avec ses producteurs véreux, son metteur en scène obsessionnel et perfectionniste, et son lot de comédiennes en herbe qui tueraient pour un rôle.
Chaque vision de ce pur diamant noir éclaire un peu plus sur les beautés qu’il contient, la construction circulaire donnant le tournis, mais ce vertige est tout le temps délicieux et jamais une seconde on ne s’ennuie. Tout appelle notre regard et nous garde en éveil, le brio hypnotique de Lynch nous interrogeant sans cesse sur une intrigue aussi démentielle que surréaliste. La musique signée par le compositeur Angelo Badalamenti contribue à la fulgurante réussite du film, ses notes résonnent comme des voix venues des ténèbres ou des profondeurs de notre inconscient. Les deux actrices choisies forment un couple magnifique et leur alchimie est immédiate, évidente. Bravo à Laura Elena Harring et surtout à Naomi Watts, qui fut une vraie révélation. La lecture possible du récit peut également pencher du point de vue amoureux, puisque Betty va littéralement devenir folle de Rita, menant tout droit le film vers des sommets dramatiques insoupçonnés.
La route sinueuse de Mulholland Drive n’a en tout cas pas fini de fasciner, d’être insaisissable, menant soit vers les hautes sphères de la gloire auquelle aspire Betty au début, soit vers le cruel enfer qui l’aspire dans ses filets et la laisse seule, assombrie, vidée et décomposée. Comme son cadavre retrouvé sur son lit. Morte de solitude, d’abandon et de désillusions. Cette oeuvre immense et vénéneuse est inscrite pour l’éternité au panthéon des classiques immanquables.
ANNEE DE PRODUCTION 2001
Excellente critique pour un film exceptionnel !