A Boulogne sur Mer, Hélène Aughain décide tout à coup de revoir son premier amour. Ce retour du passé va provoquer une cascade d’émotions contradictoires…
Après le choc de Nuit et Brouillard (premier court métrage sur les camps de concentration), Alain Resnais passa au format long avec le sublime Hiroshima Mon Amour, puis confirma sa singularité avec L’Année dernière à Marienbad. Son troisième film Muriel est certainement son plus déroutant. Le cinéaste met en pratique un style sec avec ce récit linéaire mais fragmenté, où la temporalité joue un rôle majeur: les personnages sont des êtres en quête d’eux mêmes, traumatisés par un lourd passé (perte d’un amour, guerre) et vivent dans une angoisse permanente, ne tenant jamais en place. Resnais aborde indirectement (pour contourner la censure) les retombées de la Guerre d’Algérie à travers la ville de Boulogne sur Mer, représentant presque un protagoniste à part entière avec ses stigmates visibles et ses rues en reconstruction. L’héroïne, Hélène, est une femme retrouvant son premier amour, en tentant de rebâtir sa mémoire, ce qui fait du film une mosaïque de souvenirs, tandis que la Muriel du titre est une jeune fille victime de tortures pendant le conflit en Algérie, mais que l’on ne verra jamais. Ce hors champ occupe les conversations, les pensées, les actes de chacun. En prenant le parti de miser sur la perte de sens, le réalisateur de Mélo s’adjoint la complicité de son scénariste Jean Cayrol et proposent une narration complexe dans laquelle le spectateur ne trouve pas facilement ses marques, et encore moins de réponses aux questions qu’il se pose.
Un peu comme chez Antonioni à la même époque, Resnais fait de la difficulté à communiquer ou à dire l’indicible un thème fort que ce Muriel entretient avec toutefois, à l’inverse de l’italien, une profusion de dialogues rythmés de lieux communs, de phrases répétitives et des ruptures de ton. Une importance accrue de la bande son se distingue également (bruits de la ville, passage de la diction au chant, et surtout les interventions de la chanteuse Rita Streich sur des airs de Hans Werner Henze). Enfin, la voix mélodieuse de l’actrice Delphine Seyrig ajoute de la « musique » à l’ensemble. Elle obtint la Coupe Volpi à Venise pour son interprétation. Aride et hermétique, cet opus d’un de nos meilleurs réalisateurs continue de fasciner ou d’irriter, c’est selon la sensibilité de chacun!
ANNEE DE PRODUCTION 1963.