1947/1982
Patrick Bourdeaux Maurin dit Patrick Dewaere est venu au monde en 1947, dans un milieu de saltimbanques, où la foi catholique tient une place prépondérante. Il n’a pas connu son père, qui a quitté Mado sa mère, et va en garder une blessure à vie. Son enfance va semble t il être émaillée d’événements traumatisants, dont des abus sexuels perpétrés par un membre de sa famille. Des années cinquante passées très souvent au contact d’artistes, sa mère travaillant entre les planches de théatres et les plateaux de cinéma, il devient presque malgré lui un enfant de la balle et commence à faire des figurations et tient des petits rôles, dès l’age de quatre ans! Pas le temps de grandir ni d’appréhender l’age adulte, cette précocité expliquera aussi beaucoup la lassitude dont il souffrira beaucoup plus tard. On l’aperçoit dans des films comme Monsieur Fabre ou Les espions d’un certain Henri George Clouzot, il y déploie une vitalité et un caractère très affirmé pour un enfant, et on y devine déja son côté frondeur, rebelle et turbulent. Au début des années 60, il se distingue au casting d’une série télévisée La déesse d’or, dans laquelle il est un adolescent jovial, prêt à toutes les aventures. Il fait ses gammes au théatre dans diverses pièces qui n’ont pas été des succès, mais lui ont appris son métier. Même s’il est évident qu’un talent inné l’habitait depuis toujours.
Il se dira d’une timidité maladive et incapable de se sentir réellement doué, ce qui lui provoque un manque patent de confiance en lui. Au moment de sa majorité, et après de nombreux téléfilms à l’ORTF et des pièces mitigées, il change de nom et prend le pseudonyme de Dewaere, sûrement en partie pour s’émanciper de sa mère, qui est d’un naturel dévorant et avec qui il a des relations en demi teintes, voire orageuses. Dès le début des années 70, il tente de faire son trou en tant q’acteur adulte cette fois et tourne des participations chez René Clément (La maison sous les arbres),ou Jean Paul Rappeneau (Les mariés de l’an deux), avant de rencontrer la bande du Café de la Gare, composé de Miou Miou, Coluche, Martin Lamotte, Renaud et Sotha. Tout ce petit groupe reflète le vent de liberté soixante huitarde et quelque peu anarchiste, qui correspond bien à son tempérament et ils deviennent tous très liés. Ce qui va lui plaire de suite, c’est la connivence qu’ils ont dans l’écriture de leurs textes, qu’ils présentent sur scène, et qui leur permet d’avoir un contact direct et immédiat avec le public. Et le succès est là, malgré les vaches maigres des débuts, on ne leur déroule pas encore des tapis rouges, mais des cinéastes notamment les suivent de près. Parmi eux, Bertrand Blier a vu son potentiel et sa présence, il l’engage pour tenir l’un des deux rôles principaux de ce qui deviendra un classique du cinéma français Les Valseuses. Entre l ‘ogre Depardieu et la frêle Miou Miou, Dewaere éclate littéralement, entre séduction virile, regard d’enfant enjoué et carrure de sportif. Le trio fait un carton, malgré le scandale provoqué par le ton grivois et sexuel du film. La carrière de Dewaere est lancée. On est en 1973.
Côté vie privée, il vit une folle passion avec Miou Miou justement, qui partagera sa vie durant près de cinq ans et qui restera le grand amour de sa courte vie. Sa fougue et son naturel exceptionnel font de lui un jeune premier que les réalisateurs veulent faire tourner et il apparaît dans plusieurs gros films comme La meilleure façon de marcher, F comme Fairbanks ou Lily aime moi. Très à l’aise et en apparence toujours décontracté et cool, Patrick se méfie pourtant des sirènes de la gloire, il sait parfaitement que cela peut cesser aussi vite que c’est venu, il ne veut pas devenir une star que l’argent va pourrir et rendre médiocre. C’est tout à son honneur et en adéquation avec son personnage franc, direct, entier. Evidemment, la machine s’emballe et son nom attire les foules, donc il devient tout de même populaire, ce qui devait à la fois l’enchanter et le rebuter. Au fond, cette duallité n’a jamais été réglée en lui, il vivait simplement avec. Partenaire de Lino Ventura dans Adieu Poulet, il y joue son premier flic, ce qui s’avère très ironique, lui qui a toujours détesté l’autorité et il poursuit avec le Juge Fayard, qui lui ira comme un gant en 1977.
Ensuite, il entame les cinq dernières années de son existence, avec des passages à vide, des films qui fonctionnent moins bien, des cinéastes qui ont tendance à le cantonner dans des rôles de looser et d’homme fragile (ce qui devait faire un écho douloureux à sa propre vie), et hélas sa chute dans les drogues dures commence juste après la séparation d’avec Miou, coincidant aussi avec une époque sombre, dans laquelle il fait plusieurs dépressions. Son hypersensibilité transpire à l’écran dans Préparez vos mouchoirs, à nouveau dirigé par Blier et accompagné de Depardieu, qu’il jalouse en secret, trouvant que les meilleurs scénarios ne sont proposés qu’au « gros », comme il l’appelle affectueusement. Dans Coup de tête en 1978, il explose dans le genre comique, maniant le verbe haut et l’ironie comme personne. Puis, il obtient son plus beau rôle grâce à Alain Corneau dans Série Noire, il perd dix kilos et incarne un minable VRP montant une combine sans envergure, allant tout droit de l’escroquerie au meurtre sordide. Sa composition est éblouissante et il ne sortira pas indemne de ce tournage. Ou alors peut être encore plus écorché vif.
La profession est assez allergique à son franc parler, sa manière de ne pas se soumettre, de rester à tout prix un électron libre, et rapidement on le dit ingérable, colérique, rarement enclin à faire bonne figure devant les journalistes. D’ailleurs une altercation malheureuse avec l’un d’entre eux finit mal et Dewaere le frappe, ce qui entraîne une onde de choc dans le métier. Il s’excusera plus ou moins, mais le mal est fait et il va payer cher cet écart de conduite. Blacklisté, évité et craint par les producteurs, il ne peut que constater qu’on ne lui fait aucun cadeau et surtout qu’il n’a jamais les honneurs d’une récompense. Cinq nominations aux Césars, cinq fois il repart bredouille! A ce niveau là, on peut clairement parler d’injustice, d’autant que sa puissance de jeu est inouïe. Ses derniers films intéressants sont signés par des pointures Claude Sautet Un mauvais fils, André Téchiné Hôtel des Amériques, ou une ultime fois Blier pour lequel il est un Beau Père admirable de sobriété, face à une gamine de 14 ans qui lui crie son amour. Cependant, le point commun de ces personnages est encore la fragilité, la fêlure, et on ne peut ignorer qu’ils furent quelque part fatals à l’homme qu’il était.
Patrick ne montre plus que le versant négatif de son être , tantôt perdant, paumé, largué, et le cinéma ne semble vouloir que le figer dans ces traits noirs et tristes. Le sommet est atteint en 1982, quand il tourne son dernier rôle Paradis pour tous, dans lequel il met carrément face caméra, la répétition d’un suicide prémonitoire. Glaçant à revoir après coup bien sûr. Il est pressenti pour être Cerdan dans Edith et Marcel que prépare Claude Lelouch, il se met à la boxe, reprend confiance, semble prêt à tout défoncer à nouveau. Pourtant, ses démons intérieurs ont raison de lui cet après midi de juillet, il s’empare d’une carabine 22 long Rifle, offerte dit on par Coluche, et face à son miroir, il se tire une balle dans la bouche. Cette vie d’artifices et de faux semblants dans laquelle il avait tout donné, il n’en voulait plus, car elle lui avait aussi tout pris. Et cette blessure d’enfant jamais refermée qui fut au coeur de sa rage. Jusqu’à en mourir.