Moscou, 1941. Veronika et son amoureux Boris tardent à se séparer. Au dessus d’eux passe un vol de cigognes. La guerre vient d’être en effet déclarée. Contre l’avis des siens, Boris s’est engagé pour le front comme volontaire. Il part et peu de temps après, ce sont les parents de Veronika qui sont tués dans un bombardement. La jeune femme va vivre dans la famille de Boris, en attendant fiévreusement de ses nouvelles et son retour. Personne n’a su que Boris est finalement mort sur le champ de bataille…
Quand passent les cigognes… et quand la guerre tue l’innocence et sépare ceux qui s’aiment! Ce mélodrame venu tout droit d’Union Soviétique, sorti en plein dégel, compte parmi les oeuvres les plus importantes et les plus fondamentales du cinéma mondial. D’abord par sa facture formelle remarquable (mouvements perpétuels de caméras, profondeurs de champs, gros plans, etc…), tel un tourbillon incessant, la mise en scène de Mikhail Kalotozov nous entraine dans une virevoltante histoire de guerre et d’amour: ces prouesses techniques auraient pu nuire à l’émotion, au contraire elles la magnifient avec maestria. Ensuite, par sa façon de tisser ce récit dramatique en alliant le destin tragique de ces deux amoureux avec celui de millions d’autres à travers le monde, car le réalisateur russe entend bien rappeler que les conséquences des conflits armés brisent d’abord des vies, des familles, détruisent en plein vol les passions du coeur. Le cinéma, bien malgré lui au service du pouvoir en place dans le pays, n’oublie pas de dispenser sa propagande dans ce poème lyrique déchirant, où les personnages se veulent plus réalistes que socialistes. La carte du romanesque emporte tout sur son passage, changeant radicalement de la grisaille trop souvent vue chez un cinéaste comme Eisenstein par exemple, ici ce qui frappe c’est que les rayons du soleil semblent plus forts que la noirceur du propos.
Enfin, très difficile d’oublier le visage bouleversant de la jeune héroïne, Tatiana Samoilova, petit « écureuil » au minois triste mais décidé, obstinée dans son idée de voir revenir son amoureux coûte que coûte, sa vitalité explose dans chaque plan et transperce le coeur. Dans le final exceptionnel et si touchant, les mouvements de la foule en liesse semblent l’emporter, la porter, alors que sa solitude et son désarroi l’écrasent déjà et la condamnent à un avenir bien sombre. Jamais peut être à l’écran, la vie et la mort ont semblé si parfaitement imbriqués et rendus palpables. Quand passent les cigognes fut justement primé d’une Palme d’Or à Cannes et garde, malgré le temps qui passe, son pouvoir émotionnel intact.
ANNEE DE PRODUCTION 1958.