En 1920, Baby Jane Hudson était une enfant prodige, jalousée par sa soeur Blanche. A l’âge adulte, Jane n’a pas confirmé son talent d’autrefois et c’est Blanche qui est devenue une actrice célèbre. Lorsque cette dernière perd l’usage de ses jambes suite à un curieux accident, Jane « prend » sa revanche, gardant sa soeur à domicile et la traitant de plus en plus mal. Jane souffre qui plus est d’alcoolisme et de graves troubles mentaux…
Aussi monstrueux que fabuleux, ce film tout à fait à part dans la mythologie hollywoodienne coche absolument toutes les cases de l’audace. Audace scénaristique puisqu’il fallait oser mêler la réalité et la fiction (en se servant de la foisonnante carrière de ses deux interprètes et en faire une belle mise en abime). Audace de réalisation de la part de Robert Aldrich, à la tête de ce projet fou, qui invente non seulement le genre de l’horreur psychologique et impressionne par sa mise en scène à la fois directe, cynique, tout le temps surprenante. Audace également d’avoir eu l’idée ingénieuse de réunir à l’écran les deux actrices les plus légendaires des décennies 30 et 40 (en outre rivales à la ville) et orchestrer leur affrontement dans une ambiance hautement anxiogène. Dans cette intrigue effroyable de séquestration, la tension monte d’un cran à chaque séquence, la folie de Jane s’opposant à la douceur piétinée de Blanche, comme si le Mal écrasait le Bien sans vergogne, la démente contre la vulnérable paraplégique. Inspiré d’un roman de Henri Farrell, Aldrich impose son style dans cette farce macabre, où il semble s’amuser à caricaturer les stars déchues, façon Boulevard du Crépuscule, la terreur en prime. Il s’autorise toutes les outrances avec un sadisme qu’il n’a plus porté à un tel point dans ses autres films. En contrepoint, la petite ritournelle que fredonnait Jane enfant « I wrote a letter for dady » revient régulièrement à nos oreilles, faussement douceâtre, résonnant dans cette grande maison où a lieu le supplice de la pauvre Blanche, affamée, retenue prisonnière et terrorisée par sa soeur timbrée.
Bette Davis et Joan Crawford tiennent là les rôles phares de leur come back respectifs: Davis en se grimant le visage avec un fond de teint crayeux la rendant encore plus abominable et jouant avec délectation la méchanceté, Crawford impuissante dans sa dignité niée. Toutes deux sont formidables et ont grandement contribué à faire rentrer ce film au rayon des classiques intemporels. Victor Buono les accompagne dans le rôle d’un musicien raté et fils à maman obèse. Huis clos étouffant, catch entre deux vieillardes hystériques, Baby Jane fascine, fait flipper, a traversé les générations sans s’affadir, et se paye le luxe de finir sur une plage, en plein soleil, paré d’une note pathétique, l’auréolant d’un superbe aspect mélodramatique. Du grand Art.
ANNEE DE PRODUCTION 1962.