Pendant l’Occupation, Marie élève difficilement ses deux enfants, tandis que son mari Paul est prisonnier en Allemagne. Elle aide une voisine à mettre fin à une grossesse non désirée. Bientôt, c’est l’engrenage. Petit à petit, les services de Marie se rétribueront et deviennent son gagne pain. Le retour de Paul, aigri et affaibli, contraste avec l’aisance matérielle ainsi obtenue par Marie qui rêve secrètement d’être chanteuse…Mais la France de Vichy n’aime pas que le bonheur individuel se déploie en marge de la morale « officielle ».
Dans un décor sombre et soigneusement déprimant, situé dans la France sous Pétain, Une Affaire de Femmes se veut une réflexion morale très complexe parce que chaque personnage, comme chez Renoir, a ses raisons d’agir propres et le script, magistralement écrit, leur donne l’occasion de les exprimer, sans pour autant renoncer à chercher une ligne de partage concrète entre ce qui est admissible et ce qui ne l’est pas. Marie est dénoncée par son époux parce qu’elle le trompe, elle sera condamnée parce qu’elle pratique des avortements, son amoralité étant trop insupportable pour l’ordre bourgeois hypocrite, que Chabrol décrit avec une nette virulence. D’après le récit de Francis Szpiner sur le véritable dossier Marie Louise Giraud, guillotinée en 1943, ce drame fait le portrait d’une femme à la personnalité multiple: entêtée, frivole, débrouillarde, organisant son « petit commerce » surtout pour échapper aux difficultés de la guerre, sans hélas faire de distinction claire entre le Bien et le Mal. Comme dans Madame Bovary, Chabrol ne juge jamais son héroïne, il l’observe dans son inconséquence et ses agissements, ne la blâmant pas, ne l’innocentant pas non plus. En cela, Une Affaire de Femmes y gagne en profondeur, en gravité, car pas un instant, il ne cède au manichéisme « pratique ». Finalement, ni coupable ni sainte (ou les deux à la fois), Marie se veut trop libre, chose impardonnable dans les époques troublées.
Dans le rôle principal, Isabelle Huppert retrouve pour la seconde fois son réalisateur de Violette Nozière pour cet autre personnage ayant réellement existé et qu’elle incarne avec tant de nuances et de fièvre. Ce qu’elle accomplit ici fait sans nul doute partie de ses deux ou trois interprétations les plus extraordinaires (justement récompensée par un Prix au festival de Venise). Les éloges les plus fortes vont aussi à tous ses partenaires: François Cluzet en mari délaissé et misérable, Marie Trintignant en pute au grand coeur (si jolie Marie), Dominique Blanc dans un rôle douloureux de mère au bout du rouleau, etc… Avec cette oeuvre, Chabrol atteint un palier supérieur dans sa mise en scène, pointant du doigt notre pays Occupé, croulant sous sa propre lâcheté. Et cette fin terrible! Un film qui fait mal et qui résonne en nous très longtemps.
ANNEE DE PRODUCTION 1988.