1931/2011
Annie Girardot se rêva actrice dès l’adolescence, au moment de la guerre, lorsqu’il fallait s’évader à tout prix pour ne pas affronter un quotidien trop cruel, sans père, au milieu des bombardements et des tourments. Elle avait certes un don inné pour la comédie, mais travailla dur pour faire ses preuves et remporta le premier Prix du Conservatoire de la prestigieuse Comédie Française en 1951. Le cinéma viendra dès 1955 lui donner sa chance avec un premier film Treize à table où elle n’avait qu’un second rôle mais on ne voyait déja qu’elle. Elle avait le « plus beau tempérament dramatique » de l’après guerre d’après Jean Cocteau (dont le goût très sûr était légendaire) et bouleversa le Tout Paris sur les planches dans Deux sur la balançoire , face à Jean Marais , l’idole de l’époque. Elle tourne une dizaine de films, avant d’être consacrée Star et grande comédienne en 1960 pour son jeu vibrant d’intensité dans Rocco et ses frères. Visconti, le génie italien l’a sublimée et bien sûr après un tel sommet, il sera compliqué d’égaler l’exploit. Mais contre toute attente, sa carrière va toujours perdurer, avec des hauts (Vivre pour Vivre , Le mari de la femme à barbe) et des loupés dans la décennie 60, se partageant entre l’Italie et la France (ses amours tumultueuses avec Renato Salvatori seront sûrement la cause de cette dispersion).
Puis, à l’orée de la quarantaine, alors que d’autres actrices prennent une retraite anticipée ou voient leurs emplois se raréfier, Annie va connaitre une popularité inouïe grâce à son naturel désarmant, sa franche gaieté, sa pétulance unique. Elle dégage une simplicité qui plait follement au public et elle s’illustre dans des rôles d’une grande diversité: tantôt femme d’affaires, policière, avocate, chauffeur de taxi, mère au foyer, ou bonne copine adorable! Elle incarne toutes les femmes pour lesquelles l’identification marche immédiatement. Son physique étant en prime plutôt ordinaire , elle parvient à être toujours crédible. Sa prestation très acclamée de prof amoureuse d’un mineur dans Mourir d’aimer va mettre les audiences à genoux. Elle y est déchirante. Pendant les seules années 70, elle est apparue dans presque 35 films, sûrement une boulimie de travail qui lui permettait aussi de gérer une vie personnelle plus chaotique.
Annie décroche son premier César en 1977 pour Docteur Françoise Gailland, un mémorable emploi de médecin atteinte d’un cancer qu’elle va combattre avec obstination. Elle sera accusée de céder à la facilité aussi et de se compromettre dans des oeuvres tire larmes d’André Cayatte notamment, mais qu’importe elle est aimée du public, jusqu’à ce que ce soit le métier qui l’abandonne cruellement. Comme pour lui faire payer tous ses succès. Soudain, plus de propositions, des scénarios indigents, des trahisons d’amis et de proches cupides et puis plus sordide, des problèmes de drogue vont émailler les tristes années 80. Elle ne sera plus à l’affiche que de mauvais films, et pas toujours en vedette. Claude Lelouch, un de ses cinéastes fétiches va lui rendre un peu sa place dans une version revisitée des Misérables, elle est une pathétique Thénardier qui crie son besoin d’amour. De là, le miracle se produit , un second César la remet dans la lumière, après 15 ans d’enfer!
Une dernière fois, elle va émouvoir la France à travers un discours aussi intense que désespéré, devant tout le gratin des Césars, habitué à plus d’hypocrisie et de renoncement. Mais Annie est une lionne qui ne baisse jamais la garde, elle va ensuite mener l’ultime combat de sa vie, contre cet affreux Alzheimer, qui lui retire peu à peu sa mémoire. Quand elle meurt en 2011, elle a oublié qui elle fut. Mais pas nous. Sa gouaille, son entrain, sa voix ont été imprimés à jamais sur la pellicule de 120 longs métrages, gardant pour l’éternité sa présence touchante et son aura ô combien émouvante.