1955/ ?
Issue de deux cultures fort différentes, Isabelle Adjani voit le jour en juin 1955. Sa mère est allemande, son père algérien, un héritage riche dont elle occultera longtemps les origines. Elle vit dans une HLM de Gennevilliers, la banlieue des émigrés d’Afrique du Nord et se prend très tôt de passion pour la comédie. Devant les difficultés financières, doublées de problèmes d’intégration de ses parents, la jeune fille se réfugie dans le rêve et se bat pour atteindre son but. A 17 ans, elle intègre la prestigieuse Comédie Française, fait rarissime pour une ingénue qui n’a jusque là eu comme expérience qu’ un gentil film de vacances Le petit bougnat. Son talent brut et évident saute aux yeux de tous lorsqu’elle interprète Agnès dans l’Ecole des Femmes, avec son regard pénétrant et sa beauté gracile et sa voix d’enfant qui mue et prononce un « Le petit chat est mort » inoubliable. Après ce coup d’éclat, Robert Hossein la dirige dans La maison de Bernarda , puis c’est Ondine , des rôles forts annonciateurs de ce que seront ses choix, une fois adulte. Le cinéma s’empare de ce diamant unique et Claude Pinoteau lui offre une tête d’affiche face à Monsieur Lino Ventura, lui assénant une Gifle, restée dans les annales et sorti en 1974, alors qu’elle n’a même pas 20 ans. Son tempérament fougueux, son attitude effrontée la rendent irrésistible: le film est un carton! C’est alors qu’entre en scène un cinéaste crucial François Truffaut, tout de suite sous le charme et qui lui écrira son admiration en lui précisant « j’ai la conviction que l’on devrait vous filmer tous les jours, même le dimanche! ». Hypnotisé par Isabelle, le réalisateur de la Nouvelle Vague la veut pour devenir Adéle H, la fille de Victor Hugo au destin tragique.
Dotée d’une énergie hors du commun, la jeune interprète crève l’écran dans ce rôle d’amoureuse absolue et jusqu’à y perdre la raison. Elle donne dans la démesure et ce sera indiscutablement sa manière d’envisager ce métier: une dévotion totale à ses personnages, pas d’à peu près, toujours dans les extrêmes, sûrement une des raisons pour lesquelles elle est attirée par des rôles de femmes névrosées, excessives, et psychologiquement instables. Fait exceptionnel aussi: elle allie une beauté éclatante avec ses yeux très expressifs et son sourire de Joconde mystérieuse et un don inné pour le jeu, pour ne pas dire l’incarnation. Souvent, les grandes actrices sont jolies ou dotées d’un physique atypique, Isabelle, elle, cumule une photogénie évidente et des capacités de comédie ET de tragédie. Sa carrière décolle comme une fusée au milieu de la décennie 70 et elle enchaîne les films (Barocco, Le Locataire, Les soeurs Bronté), à l’inverse d’une Huppert dont elle est rivale, elle fascine très vite la presse, le public et devient une méga Star, comme si le mot avait été inventé pour elle. Son intelligence transpire dans les interviews qu’elle accorde, tout en conservant une aura de mystère, la rendant encore plus désirable. Rien ne semble pouvoir arrêter son ascension et quand 1980 arrive, elle tourne pour le polonais Zulawski une de ses partitions les plus marquantes dans Possession. La séquence où elle est prise d’une crise de démence en plein couloir du métro berlinois fait frémir les festivaliers à Cannes, elle obtient unanimement le Prix d’Interprétation féminine, avant un premier César fort mérité.
Elle s’illustre également dans des comédies sympathiques dans lesquelles elle démontre son sens du rythme comme dans L’année prochaine si tout va bien ou dans Tout feu Tout flamme que réalise Jean Paul Rappeneau, un maître des récits bien huilés et ultra divertissants. Face à des pointures comme Montand ou Serrault qu’elle cotoie pour une Mortelle Randonnée aux accents surréalistes, elle s’impose en leur volant carrément la vedette. La caméra ne voit qu’elle, ne veut qu’elle et les spectateurs sont subjugués! En 1983, elle connait son plus gros succès critique et public avec L’été meurtrier (5 millions d’entrées), un drame signé Jean Becker où elle incarne une femme fatale en désir de vengeance, née d’un père inconnu. Superbement mise en lumière, elle décroche son second César haut la main. Dès lors, son statut est intouchable, son visage est partout sur les couvertures de magazines, annoncée dans des tas de productions montées sur son seul nom, elle éclipse en notoriété toutes ses concurrentes, y compris une Deneuve pourtant jugée indétronable. Grâce à Gainsbourg, elle s’offre une incursion dans la musique avec un album écrit spécialement pour elle et dont on a gardé l’indémodable Pull Marine en mémoire. Puis, après son apparition dans le très surestimé Subway du jeune Luc Besson, il y a une première « cassure » nette avec le temps d’avant, il s’agit bien entendu de l’horrible rumeur qui va circuler partout selon laquelle elle serait atteinte du Sida. Ce coup brutal porté à son égard et à sa personne vont être une blessure inouie à surmonter, elle devra venir sur le plateau du JT de 20H pour montrer à la France entière qu’elle n’est pas malade, qu’elle n’est pas cette pestiférée que la presse fait d’elle, sûrement pour lui faire payer un trop plein de succès et de prestige accumulés. Son courage et sa force seront ses seules armes… avec le cinéma encore, puisqu’elle se jettera corps et âmes dans le projet de Camille Claudel , dont elle dit qu’il aura été son sauveur. Elle confie la mise en scène à son homme et père de son fils, le chef opérateur Bruno Nuytten et ils livrent leur oeuvre fin 1988, après deux ans de gestation difficile, de création viscérale.
C’est le chef d’oeuvre tant attendu de cette comédienne incomparable, qui ressuscite Camille et redonne à la sculptrice un halo de lumière, elle qui passa trente ans de sa vie dans un asile d’aliénés. Son jeu phénoménal est couronné d’un 3e César (elle surprend son monde à la cérémonie en lisant un passage des Versets Sataniques de l’écrivain maudit Salman Rushdie). Après avoir atteint ce sommet là, Isabelle se retire sans préavis de cette profession cannibale, afin de profiter de sa vie de femme, ayant appris à ses dépens que le vedettariat avait aussi ses terribles travers. Pendant quelques années, elle disparait entre la Suisse et la France, puis aux Etats Unis où elle vit une histoire d’amour passionnée avec Daniel Day Lewis, quasiment son double masculin en tant qu’acteur tant ses compositions sont intenses, ils auront un enfant puis la rupture advient, laissant Isabelle exsangue, démunie, vidée de toute cette énergie farouche et indomptable légendaire. On la dit dépressive, finie, les médias les moins tendres avec elle traquent toujours ses moindres apparitions, ironisant sur ses pauses à rallonge et sur ses ‘grands retours » comme il les nomme souvent à l’emporte pièce. En 1994, à l’aube de la quarantaine, elle est appelée à rentrer dans la peau d’une autre figure historique majeure La Reine Margot dans le film éponyme dirigé par Patrice Chéreau. Retrouvant la hargne de jouer, elle donne encore son maximum face à un casting cinq étoiles, dans lequel elle se fond sans caprices ni mouvements d’humeurs. Cannes les plébiscite, quant à elle, un quatrième César de la meilleure actrice lui est décerné. Ensuite, à nouveau le vide… Les années 90 s’achèvent sans nouveaux rôles à défendre.
Le bug de l’an 2000 n’a pas eu lieu, la résurrection Adjani par contre arrive avec ce millènaire et une énième « pause » céde la place à trois films tournés et sortis quasiment en une seule année et demie. La Repentie déçoit, Adolphe lui donne un personnage romantique d’amoureuse malheureuse (encore!) et brillamment raconté par Benoit Jacquot, enfin Bon Voyage sur la débâcle de 1940 dans lequel elle est une insupportable actrice têtue et volubile face à l’ogre Depardieu ( ce troisième face à face est leur plus drôle). Après ça, point de fulgurances. Alors finalement qu’est ce que le fameux mystère Adjani?? Si tant est qu’il y ai des réponses pertinentes à ce vaste sujet, il est bon en toute objectivité de pointer du doigt ses erreurs de parcours, ne pas omettre de rappeler que ses expériences américaines furent toutes de cinglants échecs (Driver, Ishtar avec Warren Beatty pourtant, et le navrant remake Diabolique où même Sharon Stone faisait preuve de plus de crédibilité). On peut lui reprocher d’avoir délibérement saboté sa carrière en tournant de moins en moins, en s’investissant dans des projets restés inaboutis (la vie de Berthe Morisot, la peintre impressionniste, aurait été idéal pour la remettre en selle, ou celle sur Béatrice Saubin, cette française condamnée à la prison à vie en Malaisie pour détention de drogues), mais aussi d’avoir été trop obsédée par son image, jusqu’à en perdre le goût de jouer. La peur de paraître moins belle a paralysé ses capacités et a frustré ceux qui adoraient l’admirer dans les salles obscures.
En 2009, Isabelle va cependant surprendre à nouveau avec son très beau rôle de prof au bout du rouleau de La Journée de la Jupe, le film fait couler beaucoup d’encre, questionne, et permet un débat politique passionnant, et elle y est superbe de complexité. Assumant même des kilos en trop, elle décide de passer outre son éternel besoin de contrôle sur l’image qu’elle renvoie, elle est comme on l’aime: se moquant des carcans, prenant la parole pour désacraliser son immuable beauté et évoquant ouvertement ses origines algériennes, afin de dénoncer le racisme latent dont sont victimes des jeunes filles venues comme elle de banlieues « difficiles ». Le résultat est encore gagnant puisqu’elle remporte le 5ème César de sa carrière, ce qui est le record absolu dans cette catégorie. Son amour du théatre la reprend aux tripes, et elle monte sur scène pour La Dame aux Camélias à Marigny , pour des représentations à guichets fermés. A la fin de cette décennie, elle sera Marie Stuart , Reine d’Ecosse destinée à la guillotine, devant des milliers de fidèles éperdus d’admiration pour son jeu bluffant. Se faisant toujours plus rare, même si la presse people se régale de ses liaisons avec Jean Michel Jarre ou le chirurgien Delajoux, elle privilégie désormais sa santé mentale (Elle n’est pas folle vous savez!), son équilibre émotionnel et cultive un certain jardin secret, dans un monde toujours plus avide de scoops et d’infos croustillantes.
Entre 2010 et aujourd’hui, la belle est à l’affiche d’une comédie dramatique David et Madame Hansen d’Alexandre Astier, où elle renoue avec un personnage haut en couleurs, caractériel et glissant vers la folie, après une amnésie passagère. Le film ne marche pas des masses, mais ne désirant pas « faire du chiffre » et le box office étant le cadet des ses soucis, elle demeure en liberté dans ses choix (parfois hasardeux), ne planifiant rien, travaillant au coup de coeur, comme pour cette commande pour Arte en 2016, elle incarne Carole Matthieu et sans la moindre once de glamour, elle ose se montrer défaite, dans la peau d’un médecin du travail, alertant sur les abus d’une entreprise. Son ultime prise de risque à ce jour demeure son second rôle dans le long métrage de Romain Gavras Le monde est à toi , sorti en 2018. Sa prestation magistrale de drôlerie de mère flambeuse est un contre emploi, salué par l’ensemble des critiques. Il lui manque certainement de grands metteurs en scènes pour lui apporter des projets dignes d’elle, son désir d’actrice l’habite toujours, mais il est sûrement devenu moins dévorant. Qu’importe après tout, d’abord parce que cela fait longtemps qu’elle n’a plus rien à prouver, et parce que son charisme reste éblouissant, plus fort que ses absences. N’est ce pas le propre des mythes vivants?
Très beau portrait ou j’ai encore appris plein de trucs comme les 5 (!) césars entre autres ! Je suis pas d’accord pour Diabolique moi je le trouve très potable ce film !