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Isabelle Huppert est née en 1953 dans une famille aisée et nombreuse, vivant dans le 16ème arrondissement de Paris. Très intéressée par des études de Lettres et de Langues, elle choisira finalement la voie artistique, en s’inscrivant à l’Ecole de la Rue Blanche dans un premier temps, puis au Conservatoire National supérieur d’Art Dramatique. Désireuse de jouer la comédie, elle travaille d’arrache pied pour décrocher des rôles le plus tôt possible. Ses professeurs seront les réputés Jean Laurent Cochet et Antoine Vitez. C’est ainsi qu’elle fait ses débuts au début des années 70, en tournant des participations, laissant entrevoir une jeune fille charmante aux taches de rousseur prononcées et au joli sourire enjoleur. Au détour d’une poignée de scènes, elle donne par exemple la réplique à Yves Montand et Romy Schneider dans César et Rosalie de Claude Sautet. En 1974, elle marque des points en acceptant un petit rôle mémorable dans un film qui va devenir un succès et un scandale à la fois: Les Valseuses, où elle incarne une adolescente rompant bruyamment les ponts avec ses parents, lorsqu’elle croise la route des deux loubards marginaux que sont Depardieu et Dewaere. L’initiant au sexe pour la première fois (de surcroît aidée par Miou Miou), son personnage n’est visible que dix minutes à l’écran, mais tout le monde s’en souviendra! Isabelle continue son bonhomme de chemin en tournant deux ou trois films par an jusqu’en 1976, année décisive pour elle.
La consécration intervient avec un « petit » film appelé La Dentellière, que réalise le suisse Claude Goretta avec un budget minuscule, racontant le destin de Pomme, une apprentie coiffeuse, issue d’un milieu très modeste, réservée et silencieuse. Elle rencontre un jeune étudiant brillant, ils s’aiment mais le fossé culturel et social qui les sépare sera fatal à leur amour. Isabelle incarne cette jeune fille avec un jeu puissant et une vérité bouleversante. Pourtant, dans sa façon d’aborder le rôle, elle choisit d’en faire le minimum, et c’est justement ça qui sera payant. Elle va louper de très peu le Prix d’interprétation à Cannes, mais à seulement 21 ans, elle a toutes les cartes en main pour rêver d’un avenir radieux, avec des propositions de cinéastes impressionnés par elle et désirant la filmer. Le gratin des jeunes réalisateurs lui donnent de quoi montrer son talent. Tavernier, Blier, puis Téchiné et Godard sont aux premières loges d’un palmarés qu’elle ne cessera d’étoffer, au cours de sa carrière. Son autre film charnière est Loulou , écrit et dirigé par Maurice Pialat, où elle tient la dragée haute à Depardieu (encore lui!) en jeune femme amoureuse d’un paumé et préférant avorter de leur enfant. Sa personnalité crève l’écran et dénote une présence incomparable. A la fin des années 70, elle rencontre Claude Chabrol et devient sa muse absolue. Ils tournent ensemble un premier projet de taille: la vie de Violette Nozière , cette femme accusée d’avoir empoisonné ses parents. Le triomphe consacre définitivement Isabelle comme une grande actrice (cette fois Cannes ne s’y trompe pas et lui décerne le Prix), le public se déplace en masse et cerise sur le gâteau, le film est un superbe plaidoyer contre la peine de mort.
A présent, Huppert acquiert une renommée internationale, va même faire un film avec l’enfant terrible d’Hollywood, Michael Cimino, La Porte du Paradis qui sera un flop monumental et coulera la United Artist en 1981. Elle est pourtant prodigieuse dans cette production trop longue, à l’ambition démesurée. Du coup, retour en France et tranquillement elle trace son chemin grâce à des oeuvres aussi différentes que Coup de foudre , La truite , La femme de mon pote ou bien La Dame aux camélias. Aucun registre ne semble lui faire peur ou l’impressionner, elle a une aisance égale dans le drame romantique, la comédie, le thriller inquiétant (Eaux profondes de Michel Deville où elle est imprenable et dangereuse à la fois). La marque de fabrique de son jeu (si tant est qu’il y ait un secret à découvrir!?): une parfaite maitrise de sa gestuelle, de ses expressions, de son image. Impénétrable, à la limite d’une certaine froideur, contrebalancée par un charme fou, elle utilise sa beauté particulière, aux antipodes d’une Deneuve ou d’une Adjani, sans jamais en faire une priorité. Etre séduisante et attirante oui, mais pas au détriment de l’intériorité, qu’elle place au dessus de tout! Cette qualité n’a pas son pareil dans le cinéma français et son exigence non plus. Elle alterne des pièces difficiles au théatre (Orlando à l’Odéon), des longs métrages « faciles » comme La garce ou Sac de noeuds , puis des oeuvres au contraire pointues comme Les Possédés de Wajda ou La vengeance d’une femme de Jacques Doillon. Très discrète sur sa vie privée, elle est l’Anti Star par excellence, ce qui sert parfaitement son attrait secret et mystérieux.
Son plus beau rôle des années 80 sera un cadeau fait par Claude Chabrol à nouveau, il la sublime dans Une affaire de femmes , évocation d’une figure contestée et scandaleuse durant l’Occupation, cette faiseuse d’anges condamnée à la guillotine pour des actes d’avortement clandestin. Le gouvernement de Pétain ne plaisantant pas avec la morale en fait un exemple et elle fut l’une des dernières femmes à monter sur l’échafaud. Isabelle porte ce personnage avec grandeur, justesse, et lui offrant des nuances extraordinaires. Un nouveau Prix d’Interprétation lui est attribué haut la main en 1988 à Venise cette fois. Il faut attendre le milieu de la décennie 90, après son incarnation du tonnerre de Madame Bovary , pour la voir enchaîner des films comme La séparation, Malina, Amateur. Des titres qui se rajoutent à une liste de chefs d’oeuvres longue comme le bras et qui lui permettent de combiner amour du public et profond respect de la critique, louant ses choix avec des éloges permanentes et méritées. Son premier César vient enfin en 1996 pour son rôle de postière à double visage de La Cérémonie, sûrement son personnage le plus jouissif, encore dû à Chabrol, décidément un bienfaiteur pour elle!
Au tournant des années 2000, sa côte est telle qu’il n’est pas rare de l’admirer dans trois ou quatre films par an! Elle ne cesse de tourner et pour les plus grands cinéastes (Assayas, Doillon, Jacquot, Ruiz, Chéreau, etc etc…), toujours plus exigeante, toujours plus portée par le feu sacré de son métier et de sa hargne d’explorer tous les univers. Sa façade faussement fragile a cédé face à une intelligence vivace et aiguisée, sachant sur le bout des doigts comment aborder tel ou tel aspect d’un personnage. Son travail prend encore davantage d’ampleur et de profondeur, devant la caméra incisive de l’autrichien Michael Haneke. Avec La Pianiste, elle atteint au sommet de son art en incarnant cette vieille fille frustrée, incapable d’aimer et bouffie d’orgueil et de désirs sadomasochistes avec un aplomb inoubliable. Et elle est capable dans la foulée de faire hurler de rire le public, estomaqué par son potentiel comique, dans 8 Femmes, où là encore c’est une vieille fille version Ozon, donc avec une dimension très « camp » et outrancière jubilatoire! Plus aucun doute n’est permis: elle est bel et bien la plus grande actrice française encore vivante. Le reste de son parcours ces 15 dernières années ne fait que le confirmer.
Les héroines qu’elle a su faire vivre à l’écran ont toutes des facettes sombres, même lorsqu’elles sont solaires, ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette actrice consciencieuse, studieuse, fascinante parce que multiple, brillante parce que tout le temps surprenante et son dernier coup d’éclat magnifique reste sa performance dans Elle en 2016 , superbement filmée par Paul Verhoeven. Elle a mis les audiences à genoux et décrocha son second César, ainsi qu’une nomination à l’Oscar. Les Américains l’adorèrent mais n’étaient sûrement pas prêt à lui donner la statuette pour un rôle aussi décalé, aussi sulfureux, leur puritanisme hypocrite les en a empêchés! Mais Huppert n’en a que faire, elle a déja une collection inouie de récompenses, une filmographie idéale, une longévité exemplaire (bientôt 50 ans sur les écrans!), et avec cette petite pointe d’ironie qui la caractérise si bien, elle continue à 67 ans à jouer la comédie, comme elle respire. Finalement, la seule chose qui lui a échappé, c’est qu’elle est devenue si populaire qu’elle ne peut plus prétendre ne pas être cette Star, qu’elle n’ambitionnait pas de devenir. Elle traverse, au milieu des ruines, comme si rien ne pouvait l’atteindre, confiante et butée comme un roc.