Dans le New York de la Grande Dépression, Eben Adams, un artiste peintre en manque d’inspiration fait la rencontre d’une jeune fille étrange dans un parc. Elle s’appelle Jennie Appleton et va marquer son existence…
Soucieux de donner de beaux rôles à son épouse, l’actrice Jennifer Jones, le producteur célébré d’ Autant en Emporte le Vent, David O’Selznick lui confia le personnage titre de ce film tout à fait étonnant et hélas tombé trop vite dans l’oubli, après son échec en 1949. Le Portrait de Jennie s’impose pourtant comme un des joyaux de l’Age d’Or hollywoodien par son caractère très particulier: il s’agit à la fois d’une belle histoire d’amour d’un romantisme échevelé mais également d’un film fantastique où la notion du temps qui passe est remise sans cesse en question et où les fantômes viennent visiter les vivants par delà les ans. Derrière la caméra, l’allemand expatrié William Dieterle qui avait commis une version de Quasimodo d’une beauté unique, propose ici une esthétique expressionniste gothique et subtile: le noir et blanc contrasté, le sens du cadre, les plans de New York enneigé nous hantent longtemps après la projection. Dieterle a réussi à donner une aura d’étrangeté à ce récit onirique et au surréalisme quasiment jamais vu dans le cinéma américain auparavant. La romance, même platonique, entre le peintre et sa muse insaisissable émeut profondément car la jeune fille revêt à la fois l’apparence parfaite de l’amour absolu, l’inspiration créatrice de l’artiste, et un témoin du passé. Ce mélange passé/présent nécessite d’ailleurs de laisser tout pragmatisme de côté et de suivre ce scénario digne d’un conte de fées merveilleux. La dernière séquence, tournée en Technicolor, exalte par son déroulement tempétueux l’inexorable fatalité, défiant toute logique et rationalité. Enfin, l’ultime plan, en couleurs, est celui du tableau achevé représentant Jennie et exposé dans un musée, comme pour signifier qu’elle a gagné son combat contre le temps.
En peintre sans le sou et follement épris de sa « belle » inconnue, Joseph Cotten surprend dans ce registre, après avoir tant inquiété dans L’Ombre d’un doute d’Hitchcock. Il remporta même le prix d’interprétation au festival de Venise. Quant à Jennifer Jones donc, elle est capable de jouer une figure presque encore enfant, puis une jeune adolescente fougueuse, et enfin une vraie femme accomplie et sûre de ses charmes: une actrice finalement un peu sous estimée, déjà formidable dans Duel au Soleil, deux ans avant. L’Art et l’Amour ainsi mêlés et traités font de ce Portrait de Jennie une oeuvre quasiment sans égale qu’il faut absolument réhabiliter. Comme sur Jennie, les outrages du temps ne semblent pas avoir de prise sur ce film fascinant.
ANNEE DE PRODUCTION 1949.