Après avoir volé huit sous, un garçon de 12 ans est privé de repas. Les 11 membres de sa famille meurent des suites d’un empoisonnement massif par des champignons servis ce soir là. L’enfant grandit seul et devient groom, croupier de casino à Monaco, puis sous l’influence de deux femmes rencontrées coup sur coup il devient arnaqueur professionnel…
Contrairement à la majorité de ses oeuvres, Le Roman d’un Tricheur n’est pas le soit disant « théâtre filmé » que Sacha Guitry aimait faire pour porter à l’écran ses pièces à succès, mais bel et bien du pur cinéma! Héritier direct du muet, puisque ici presque toutes les séquences (hormis quelques minutes vers la fin) sont muettes, l’opus acquiert une force particulière par la magie de la voix off. Et quelle voix: celle du Maitre Guitry en personne qui se régale à nous raconter le parcours plutôt comique de son personnage, enfant d’abord brutalement orphelin, épargné de la mort par un petit larcin, et qui va faire de la malhonnêteté un art de vivre. Guitry pense et clame haut et fort que la vie n’est qu’un jeu, que les circonstances et les hasards déterminent souvent la trajectoire que prend un individu. Avec ce texte savoureux truffé de bons mots, cette comédie réjouissante véhicule un esprit insolent et met la parole au centre de tout , puisque le protagoniste décrit les différentes étapes le menant à la tricherie, parfois même à de la tricherie ratée. Le procédé utilisé par Guitry passe par le biais de l’écriture directe, puisqu’on le voit attablé à une terrasse de café, en train de rédiger ses mémoires et retranscrites avec la caméra, le plus souvent avec une folle inventivité. Ses séquences s’enchainent avec un bonheur presque toujours égal, adoptant un ton provocateur et délicieusement amoral.
Très ouvertement narcissique, Guitry contrôle toutes les étapes de la fabrication de son film: d’abord en étant auteur, metteur en scène et bien sûr acteur principal, pour mieux restituer les mots et les formules brillantes qui sont les siennes. Ses détracteurs lui reprochèrent de faire du « nombrilisme », mais c’est un faux procès, que l’on aurait tout aussi bien pu intenter à Chaplin ou à Welles. Ses partenaires font, il est vrai, plutôt de la figuration puisqu’il n’y a pas de dialogues à proprement parler, il faut pourtant les citer: Jacqueline Delubac pour son charme mutin et qui deviendra ainsi sa muse sur plusieurs projets et la fidèle Pauline Carton, à la présence puissante (même démunie de sa voix). Véritable pied de nez à la morale bourgeoise et aux bonnes manières, ce Roman d’un Tricheur excelle par son étonnante modernité. Jusqu’à sa mort vingt ans après, Guitry ne fera jamais mieux.
ANNEE DE PRODUCTION 1936.
