Julie perd sa petite fille et son mari Patrice, grand compositeur, dans un accident de la route. Elle se détourne alors de son existence passée et fait le choix de vivre son deuil dans l’anonymat et l’indépendance. Olivier, jeune assistant de Patrice, est amoureux d’elle depuis longtemps. Il voudrait la convaincre de la faire sortir de son isolement et d’achever avec lui l’oeuvre de son mari. Julie renoncera t’elle à sa liberté nouvelle pour retrouver les attaches qu’elle s’est appliqué à défaire?
Cinéaste polonais tardivement reconnu en France, Krzysztof Kieslowski voulait produire un triptyque autour des thèmes bien connus : liberté, égalité, fraternité. Le premier fut donc Trois Couleurs Bleu articulé autour d’un personnage féminin, Julie, dont la vie est soudainement dévastée par la perte insupportable de sa famille (mari et enfant) et se retrouvant devant un vide abyssal. Grave et dur, le film démarre sur ce postulat extrêmement lourd puis propose de suivre le chemin qu’elle décide de prendre pour ne pas mourir à son tour: la tentative de faire table rase du passé pour se construire une nouvelle existence, un moyen de redémarrer à zéro pour ne pas sombrer. Bleu interroge notre faculté à surmonter le chagrin, à acquérir des armes insoupçonnées pour vaincre le néant, pose aussi la question de la liberté individuelle de chacun de se réinventer, d’accepter les ouvertures sur un avenir incertain. L’héroïne chemine ainsi petit à petit vers la lumière et donc vers la vie. Un script d’une belle finesse psychologique soutient que l’on a beau vouloir fuir le passé, il revient toujours à nous par d’infimes détails, par des souvenirs persistants. Kieslowski joue la carte de la sophistication formelle grâce à une mise en scène aussi épurée que douce (contrastant avec la violence des douleurs ressenties par Julie). Le deuil trouve un élément crucial pour se « concrétiser »: la musique, véritable moyen d’adoucir les bleus de l’âme.
A peine dix ans après sa fracassante révélation dans Rendez Vous de Téchiné, Juliette Binoche livre ici la pleine maturité d’un jeu de plus en plus précis, éprouvé, impressionnant. Et son visage mêlé de souffrance et de résilience habite l’entièreté des plans, Kieslowski la filmant en gros plans tel un entomologiste de la psyché humaine. Pour ce travail d’actrice rare, elle fut lauréate d’une coupe Volpi à Venise et du premier César de sa longue carrière. Ses partenaires (Benoit Régnent, Florence Pernel) ont presque du mal à exister face à elle. A noter par contre la jolie participation d’Emmanuelle Riva jouant le rôle d’une mère perdant la tête et la notion du temps. Philosophique et émouvant, Bleu nous invite à un voyage introspectif qui se ressent plus qu’il ne se vit.
ANNEE DE PRODUCTION 1993.