Eka, presque 90 ans, vit avec sa fille et sa petit fille à Tbilissi en Géorgie. Otar, son fils chéri, travaille sur des chantiers à Paris et envoie de temps à autre des lettres. Un jour, la fille et la petite fille reçoivent un coup de téléphone leur annonçant la mort accidentelle d’Otar. Pour épargner Eka, elles décident alors de tout faire pour lui cacher l’horrible vérité…
Documentariste de formation, Julie Bertucelli passe à la mise en scène avec ce premier long métrage réaliste empreint de sensibilité et construit autour d’un trio féminin de générations différentes. Grâce à une modération appréciable dans la réalisation, le traitement délicat du sujet (la culture du mensonge dans une famille Georgienne), Depuis qu’Otar est parti charme par son refus constant de dramatisation, la caméra préférant scruter ses femmes dans leur manière d’aborder leur vie: cette chronique douce amère sent le vécu ou en tout cas confine à une authenticité de chaque instant. Pour cultiver le pieux mensonge autour de la mort d’Otar, Julie Bertucelli passe par des dialogues subtils, des situations romanesques et pourtant crédibles (l’écriture et la lecture des lettres du défunt que l’on continue à faire vivre par les mots), par des détails plutôt que par des séquences chargées en signification, ainsi le film gagne en profondeur ce qu’il évite en misérabilisme. Autour du déni de réalité, la mère et la fille maintiennent la grand mère dans l’ignorance, croyant la préserver du drame, elle qui fut nourri aux illusions du communisme toute son existence. La simplicité avec laquelle le dénouement nous ai amené fend le coeur, car la réalisatrice contourne habilement les pièges du mélo attendu et repart vite vers un avenir ouvert.
Dans cette oeuvre sur la transmission, les liens du sang l’emportent sur toute autre notion et il était crucial de réunir des actrices qui puissent logiquement se connecter par un fil invisible très fort. Nino Khomasuridze et Dinara Drukarova incarnent les deux femmes porteuses du lourd secret, chacune avec leurs nuances , partagées entre douleur intériorisée et attitude neutre pour ne rien laisser transpirer de leurs peine. Le film doit cependant énormément à Esther Gorintin, formidable comédienne polonaise, aux yeux profonds de vérité, épatante de présence et dont le visage soudainement éteint à l’annonce du pire malheur qui soit nous remue durablement les tripes. Sans pathos et avec un maximum de finesse, ce premier film a obtenu le César de la meilleure Première Oeuvre de fiction. Malheureusement, Julie Bertucelli a enchainé ensuite avec deux longs métrages beaucoup moins satisfaisants.
ANNEE DE PRODUCTION 2003.