1949/ ?
Fanny Ardant vit le jour en Mars 1949 à Saumur, dans la belle région de Limoges, dans une famille relativement aisée. Son père, officier de cavalerie, voyageant beaucoup, devint colonel et fut même l’un des amis et conseillers de la garde personnelle du Prince Rainier de Monaco, où la petite Fanny va passer une grande partie de sa jeunesse. Son éducation que l’on pourrait imaginer rigide dans ce milieu de conventions sociales ne l’empêcha pas de vivre de jeunes années assez heureuses, tournées vers les autres, sans doute parce que ce père avait une certaine ouverture d’esprit, une curiosité que la future actrice cultivera comme une qualité inestimable. D’abord intéressée par des études de Sciences Politiques, elle sort diplômée de ce prestigieux Institut en livrant la rédaction d’un mémoire au titre évocateur: « Surréalisme et Anarchisme ». Tardivement attirée par les Arts ou trop « timide » pour avouer trop fort qu’elle voulait jouer la comédie, Fanny fait ses gammes au théâtre dans des pièces de Claudel ou Racine. La vingtaine passée, elle n’ignore pas que ce métier (sûrement le plus incertain qui soit) peut comporter des risques et tout simplement ne pas déboucher sur une carrière, elle fréquente Dominique Leverd, un comédien et metteur en scène un peu connu dans la sphère théâtrale avec qui elle apprend petit à petit. Leur union dure quelques années et aboutit à la naissance de son premier enfant en 1975. La jeune maman de 26 ans tourne d’ailleurs son premier film Marie Poupée, un drame de Joel Séria, où très franchement on la remarque peu. C’est surtout l’année de ses 30 ans que les étoiles s’alignent, d’abord avec sa participation dans l’excellent Les Chiens d’Alain Jessua, et surtout son rôle beaucoup plus consistant dans la série télévisée Les Dames de la Côte, réalisée par Nina Companeez, qui la lance vraiment. Un certain François Truffaut la remarque et se met en tête de lui écrire un rôle fort pour mettre en valeur cette grande dame brune, à la classe tranquille, un brin distante, dont il tombe très vite amoureux.
Le cinéaste des 400 Coups vient d’obtenir un triomphe sans précédent avec Le Dernier Métro et imagine retravailler avec Gérard Depardieu, il écrit donc le scénario de ce qui va devenir le film culte de sa carrière: La Femme d’à côté. Sorti en 1981, ce drame amoureux, magnifique poème sur la passion absolue, romanesque et jusqu’au boutiste permet au couple Depardieu/Ardant d’exploser et donnera lieu entre les deux acteurs à une alchimie telle qu’ils feront ensuite près de cinq films ensemble. Dans le rôle de Mathilde, cette femme fatale qui « cherche toujours midi à quatorze heures », Fanny Ardant démontre des capacités de tragédienne fabuleuses, sublimée par la caméra de Truffaut, et devient d’emblée une actrice sur qui compter désormais. Claude Lelouch lui avait aussi ouvert sa porte pour un des personnages de sa saga Les Uns et les Autres, ensuite elle capte l’attention d’Alain Resnais, admirant son côté très distingué doublé d’une assurance sereine, et la dirige dans La Vie est un Roman en 1983. Dans le même temps, elle irradie dans le drame romantique Benvenuta, aux côtés de Vittorio Gassman. Alors que l’on pensait qu’elle serait employée dans le registre de l’amoureuse contrariée, Truffaut prend tout le monde à contrepied et lui offre l’occasion de casser cette image dans Vivement Dimanche! Leur deuxième collaboration est une comédie policière en noir et blanc, rendant un hommage appuyé au cinéma américain des années 40, et dans laquelle elle campe une secrétaire amoureuse de son patron, accusé de meurtre. Elle y déploie une aisance comique et un charme rappelant le jeu de Katharine Hepburn. Fanny ne s’avère pas seulement une cérébrale, mais une femme coquette, fantasque, ludique dont on admire le timbre de voix si particulier. Une voix en effet caressante et suave qui ne s’exprime jamais pour ne rien dire, en interview elle affiche une intelligence et une réflexion véritablement remarquables. Cette femme entière et passionnée possède un tempérament nouveau, du genre à ne pas se découvrir tout d’un coup, sachant doser ses effets, séductrice à sa façon, sans agressivité. En 1984, son amour avec Truffaut se termine hélas par la mort prématurée du réalisateur, avec qui elle aura le temps de faire un enfant, clôturant un beau chapitre de son destin d’actrice. Elle n’a ensuite pas cessé de tourner dans la décennie 80, en vedette ou en second rôle, chez Resnais à nouveau (L’amour à Mort, Mélo), Volker Schlondorff (Un Amour de Swann, idéale en héroïne de Proust), Costa Gavras (Conseil de Famille), Michel Deville (Le Paltoquet) ou bien Ettore Scola (La Famille). Elle mène une filmographie exigeante, sans obtenir de grands succès au box office, mais traçant son parcours singulier, bille en tête.
L’ardente Fanny, dotée de sa flamboyance et de sa beauté animale, connait pourtant une petite période où sa carrière semble marquer le pas. La quarantaine ne lui offre que quelques films mineurs entre 1988 et 1993, puis elle s’affirme à nouveau dans l’univers de Balzac, un auteur qu’elle adore, dans l’adaptation du Colonel Chabert, mise en scène par le chef opérateur Yves Angelo. La comédienne accomplie enrichit de nuances le beau personnage d’épouse du dit Colonel, incarné par Gérard Depardieu, qu’elle retrouve avec un immense plaisir. Leur amitié hors caméras ne s’est jamais démentie. Fanny sait apporter une épaisseur à des rôles fades, comme dans le segment de Par delà les nuages, le film italien à sketches et dernière réalisation du maitre Antonioni, déjà très affaibli par la maladie. Elle inspire à la fois un sentiment de grande confiance en elle (ce qui n’empêche pas sa fragilité de poindre parfois), une nature « bourgeoise » bel et bien là et une authentique personnalité de rebelle, voire même d’anarchiste, prête à en découdre s’il le faut. Un être de paradoxes voyant son métier comme un numéro d’équilibriste, sans la moindre peur du risque l’amène tout droit à interpréter des femmes étonnantes comme Eva la tenancière excentrique d’un bar gay dans Pédale Douce, une comédie dans l’air du temps, signée Gabriel Aghion, qui devient un carton critique et populaire en 1996. Dans ce film joyeux, elle montre aussi une part plus sombre: la solitude d’une femme rêvant de trouver l’amour comme une midinette. Sa prestation éclatante lui vaut le César de la Meilleure Actrice. Tout à fait à la même période, elle monte sur les planches pour jouer la Diva ultime Maria Callas, sous la direction avisée de Roman Polanski, dans une pièce de Terence McNally, intitulée Master Class. Elle n’a jamais vraiment quitté la scène et s’illustra dans des textes de Duras, de Jean Claude Carrière, de Strinberg (Mademoiselle Julie) ou encore Pirandello. 1996 reste décidément une année charnière pour elle grâce au très beau film en costumes de Patrice Leconte, Ridicule, où elle incarne une Comtesse de Blayac sublime, une lointaine cousine de Madame de Mertheuil des Liaisons Dangereuses. Les dialogues y sont raffinés et percutants et elle qui affectionne le verbe et la diction parfaite se régalent à les restituer. Deux ans plus tard, elle retrouve Ettore Scola pour Le Diner, une oeuvre malheureusement compassée qu’elle a du mal à sauver. Sa fibre comique mise à jour dans Pédale Douce lui ouvre ensuite les portes d’un cinéma plus « commercial » et accessible à tous, ce qui l’incite à accepter des films franchement médiocres (La débandade, Le fils du Français ou Le Libertin). Des titres où sa classe rentrent en contradiction avec la vulgarité de scénarios peu inspirés. Sa popularité est telle que son talent ne souffre pas trop de ces choix moins pertinents. Le nouveau millénaire pointe son nez, alors que Fanny fête ses cinquante ans.
Elle est approchée par l’italien Franco Zeffirelli, en 2001, pour un biopic sur une partie de la vie de La Callas (encore elle!), précisément au moment où ayant perdu sa voix, la cantatrice tente malgré tout de survivre et organise un come back. Callas Forever n’est pas le grand film que cette artiste hors du commun aurait mérité, mais Fanny s’empare du personnage avec une force admirable et livre une performance remarquable. Les séquences de play back impeccables, les costumes de la Diva et une ressemblance physique frappante assurent une notoriété certaine au projet. Un an plus tard, le jeune réalisateur alors en vogue François Ozon réunit le plus glamour des castings féminins pour construire Huit Femmes, une comédie policière détonante et Fanny écope du rôle mystérieux de Pierrette. Elle y fait forte sensation, habillée d’une robe en fourreau rouge, très élégante, où son hommage direct à Rita Hayworth dans Gilda a de quoi séduire! En retirant ses gants avec sensualité, en s’invectivant vertement avec Catherine Deneuve avant de l’enlacer dans un baiser langoureux et inoubliable. Une bombe atomique vivante! Transcendant l’ordinaire, aimant follement l’incandescence, la comédienne affiche un humour irrésistible, une culture plus qu’appréciable, et une fierté: celle de demeurer un électron libre, échappant à tous ces carcans qu’elle fuit comme la peste! Avouant sans fard que certains de ses personnages l’ont rendue meilleure quand d’autres ont accru sa part noire, Fanny ose surprendre quand d’autres se contentent d’une seule catégorie, sans explorer d’autres horizons. Ses partenaires masculins (Trintignant, Noiret, Luchini, Belmondo, Berry, Arditi, etc…) ne tarissent pas d’éloges sur sa fougue, son implication dans le travail et sa discrétion au sujet de sa vie privée. A peine sait on qu’elle a connu une histoire d’amour avec le directeur de la photographie Fabio Conversi, mais les médias ne la traquent pas, ne se risquent pas à l’ennuyer, le « people » n’étant pas sa tasse de thé. Une star oui, mais accessible et profondément ancrée dans le réel.
Décalée et jamais là où on l’attend, l’actrice ajoute une corde à son arc en 2009 avec son passage à la mise en scène. Cendres et Sang conte l’histoire d’une roumaine choisissant de revenir dans son pays natal après l’assassinat de son mari. Un premier long métrage non dénué d’imperfections, mais où Fanny explore son sens du romanesque avec brio. Au théâtre, elle est une Sarah Bernhardt époustouflante dans une pièce de Bernard Murat, jouée à guichets fermés. Son activité au cinéma rencontre moins de fulgurances au mi temps de la décennie 2000, hormis dans deux films importants: Nathalie, signé Anne Fontaine, un drame sur l’amitié équivoque et étrange entre une jeune strip teaseuse et une cinquantenaire la payant pour séduire son mari. Fanny donne la réplique à Emmanuelle Béart (qu’elle avait croisé dans Huit Femmes) et une fois n’est pas coutume, Depardieu est aussi de la partie. Un trio infernal occasionnant de belles séquences d’affrontement. L’autre film, Roman de Gare, constitue le retour en grâce de Claude Lelouch dans un registre mi policier mi dramatique fort réussi, dans lequel notre héroïne incarne une écrivaine douteuse et assez salope sur les bords, saluée par la critique. Puis, une seconde période beaucoup moins faste s’ensuit, où Fanny profite aussi de la vie, des livres (elle est une lectrice acharnée depuis toujours), des voyages, acceptant ici ou là des participations dans des petites productions sans gros budget (souvent en Italie d’ailleurs). N’aimant pas se ménager, elle se donne totalement, ignorant les trajectoires toutes tracées, faisant fi du temps qui passe. Elle fait un excellent « retour » en 2013 dans un film lumineux Les Beaux Jours, écrit et réalisé par Marion Vernoux. Décolorant ses cheveux de jais en blond platine, elle assume pleinement sa soixantaine, sexy en diable, et séduite par Laurent Lafitte, elle la dentiste retraitée détestant les certitudes. Un joli succès public récompense son audace.
Ses dernières compositions notables furent Lola Pater de Nadir Moknèche en 2017, elle y campe une transexuelle attachante et délivrée de tous ses complexes, recevant la visite de son fils croyant retrouver en elle son ancien… père. Un sujet délicat bien traité et aux accents de sincérité. En 2019, l’actrice s’illustre au générique de La Belle Epoque de Nicolas Bedos. Cette attribution d’épouse caustique et nostalgique lui permet de décrocher un César du Second Rôle féminin très mérité. En 2020, elle intègre le casting prestigieux de ADN, ultime film en date de Maïwenn, où son personnage de mère toxique et envahissante fait merveille, tout en créant une électricité singulière. Enfin en ce tout début d’année 2022, elle s’est distinguée dans l’émouvant Les Jeunes Amants. Ce drame amoureux de Carine Tardieu traite d’une liaison entre une femme de 71 ans avec un médecin plus jeune qu’elle de 25 ans, sans tomber dans le scabreux, mais versant plutôt dans l’amour inconditionnel, celui qui balaye tout sur son passage. Son duo avec Melvil Poupaud est à la fois intense, pudique et très touchant. Fanny, comme à son habitude, assume ses rides, son corps de femme très mûre et n’en est que plus désirable. Son credo n’a guère bougé depuis ses débuts il y a plus de quatre décennies: être dans la profusion des choses, l’instant présent, tout en laissant venir de l’imprévu, surtout en dehors des ornières. Dans un total refus de la tiédeur: quoi de plus logique pour quelqu’un d’aussi enflammée qu’elle? Impossible de se lasser d’entendre son accent si particulier, venu de nulle part, elle qui a passé tant de temps à explorer des pays et des lieux dissemblables. Son goût pour la conversation, les mots et la pensée sont si contagieuses qu’on ne peut avoir qu’une envie: l’écouter jusqu’au bout de la nuit! Cette icône au rire juvénile tant aimée pour sa « désinvolture » apparente, son optimisme forcené et sa présence vibrante va sûrement continuer à surprendre, se foutant royalement de son âge, tordant le cou aux idées reçues. L’ex femme d’â côté est partante pour l’aventure, persuadée que la vie a toujours plus d’imagination que nous.
Merci pour ce beau portait d’une de nos plus grandes et magnifiques comédiennes. Inoubliable dans « Le femme d’à coté » notamment.