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JUDY GARLAND

1922/1969

Enfant de la balle précoce, Judy Garland naquit en Juin 1922 à Grand Rapids, dans le comté du Minnesota, de son vrai nom Frances Gumm. Ses parents étaient des artistes saltimbanques, donnant des spectacles dans des bouges plus ou moins fameux, où lui chante et joue du ukulélé et elle se débrouille un peu au piano. Le père devient propriétaire d’une salle de cinéma, dont il se sert rapidement pour se produire avec femme et enfants, en effet deux jeunes filles sont déjà nées avant la petite Frances et poussent aussi la chansonnette. Autant dire les choses crûment, Judy ne fut pas une enfant désirée, son arrivée fut presque un accident et ses géniteurs regretteront toujours de ne pas avoir eu un garçon à sa place. Son enfance plutôt heureuse, marquée par la découverte de son don vocal exceptionnel, s’articule vite autour de tours de chant, dès l’âge de cinq ans, elle donne des mini prestations avec ses soeurs et elles sont surnommées les « Gumdrops ». Sa scolarité se passe correctement, mais elle enchaîne dans le même temps des tournées sur la scène de grands hôtels et illumine l’Exposition Universelle de Chicago à douze ans à peine. Alors que ses soeurs quittent la partie par manque d’un réel talent, Judy prend le pseudonyme de Garland et passe sa première audition majeure en 1935, devant Louis B. Mayer, rien de moins que le patron de la MGM, tellement séduit par ce bout de femme qu’il lui prédit un avenir radieux dans le show business. Il a déjà sous son aile des enfants stars comme Jackie Cooper, Deanna Durbin, et Mickey Rooney. Elle tourne son galop d’essai devant les caméras, à treize ans, dans une bluette oubliée Pigskin Parade, uniquement prétexte à la faire découvrir. La gamine, complexée et peu sûre d’elle, n’a pas encore les codes de ce métier, mais dès lors que sa voix cristalline de métal chaud sort de sa bouche, l’émerveillement opère d’emblée. L’année de ses débuts au cinéma est hélas aussi pour elle celle de son premier chagrin, puisque son père meurt prématurément, la laissant inconsolable et désemparée. Pas le temps pourtant pour s’apesantir sur ce triste événement, en bon poulain de l’écurie MGM, elle se doit d’assurer et de forger son image. Le studio la contraint de porter des prothèses pour cacher ses dents trop proéminentes, un corset pour lui compresser sa poitrine trop généreuse, et surtout lui ordonne de cesser d’abuser des gourmandises, car Judy se bat contre des problèmes de poids et se voit dans l’obligation de rentrer dans le moule standard de la jeune fille pimpante et mignonne. Car si sa puissance vocale emporte tout sur son passage, son physique peu ordinaire déplait aux dirigeants intraitables du studio, rêvant de la remodeler à leur façon. Ses yeux « boules », sa bouche charnue, ses joues rondes d’enfant charmante, son regard rieur et désarmé, son apparence boulotte lui valent le sobriquet peu flatteur de « petite bossue », que Mayer lui même emploie pour la désigner. Voila donc comment elle passe son adolescence « dorée », entre les mains d’une mère possessive et dirigiste et d’hommes de cinéma surtout avides de tirer d’elle le maximum de bénéfices: elle devient une marchandise, ni plus ni moins. Après quelques films familiaux inconsistants, elle décroche le sésame avec le rôle vedette du Magicien d’Oz. Sa Dorothy mythique la propulse star à 17 ans seulement. Elle y interprète le tube inoxydable « Over The Rainbow », une chanson déchirante appelée à devenir l’air auquel on l’associera tout au long de sa vie.

Le triomphe du film lui vaut dans la foulée l’Oscar spécial de la Révélation de l’année 1939, alors qu’en Europe, la guerre vient bouleverser des millions de vies innocentes. Cette artiste née, à peine sortie de l’enfance, devient la reine des comédies musicales, pour lesquelles elle est particulièrement idéale, ne mettant en avant que son brin de voix à renverser les montagnes. Le principe réside surtout dans les titres qu’elle entonne davantage que ses capacités d’actrice dont on ne devine que des bribes, dans les oeuvrettes qu’elle joue à la chaine entre 1939 et 1942. Le rythme harassant des tournages et la cadence infernale des promos et des multiples enregistrements ne lui offrent guère de temps pour grandir et s’épanouir humainement. Comme toutes les demoiselles de son âge, elle devait cependant songer à un possible bonheur simple: être amoureuse, débarrassée de toute contrainte imposée par ses patrons. Foncièrement romantique et rêvant à l’amour pur, elle a des coups de coeur pour des hommes plus expérimentés qu’elle, dans lesquels elle s’acharne à retrouver un tant soit peu son pauvre papa disparu. Son duo avec Mickey Rooney enchante l’Amérique et le couple rempile pour quatre films en vedette, devenant des amis inséparables hors écran. Place au Rythme, En avant la musique, Little Nellie Kelly et André Hardy furent leurs titres de gloire, des « musicals » évaporés des mémoires aujourd’hui. Le grand chorégraphe Busby Berkeley la dirige à plusieurs reprises, mais ses techniques de travail et son autoritarisme pointu ne font guère bon ménage avec le caractère plus jovial de Judy. En 1941, elle fait partie du joli trio féminin des Danseuses des Ziegfield Folies, entourée par Lana Turner et Hedy Lamarr, un succès conséquent au box office les porte au sommet. Derrière cet apparent tableau idéal, malheureusement commence à démarrer pour elle un engrenage terrible: celui de la dépendance. En effet, alors qu’elle n’a pas fêté ses vingt ans, elle devient toxicomane sans même en prendre conscience. Le mélange de vitamines, d’amphétamines, de barbituriques qu’elle avale en quantité hallucinante est censé n’être que pour son bien: lui permettre de garder la ligne, tenir debout après des nuits d’insomnie ou juste dormir suffisamment pour être capable de capter la lumière impitoyable des caméras. Le début de l’enfer s’amorce et il n’est que le début d’une route sinueuse sur laquelle elle ne va cesser de se perdre.

La décennie 40 assoit définitivement son statut de petite fiancée de l’Amérique, adulée par un large public, populaire aussi bien dans les campagnes que dans les villes, il faut dire qu’elle est l’incarnation superbe de ce pays jusque là insouciant et enfin concerné par le conflit mondial, après l’attaque traumatique de Pearl Harbor. Judy multiplie les distractions filmées, pour la plupart anodines et manquant souvent d’une vraie vision de metteur en scène, si l’on excepte le For me and my Gal en 1942, dans lequel elle partage l’affiche avec Gene Kelly. Cette évocation nostalgique de l’âge d’or du vaudeville brille par ses mélodies surannées, comme le numéro Ballin’the Jack et les danses y sont remarquables. Elle y fait la démonstration de ses talents combinés de chanteuse et d’actrice, mais elle voudrait pourtant sortir du carcan confortable mis en place par la MGM, elle en a assez de ne jouer que les adolescentes acidulées et sans reproches. Une rencontre décisive va changer la donne: le réalisateur Vincente Minnelli craque pour elle et la sublime dans Le Chant du Missouri en 1944. Ce film marque le début de leur collaboration fructueuse et les deux artistes tombent amoureux pendant le tournage de ce divertissement enchanté très réussi. Judy rayonne devant la caméra de ce nouveau pygmalion, oublie son manque de confiance en elle, et se laisse porter au rythme de la chanson phare The Trolley Song. Elle en profite pour prendre un peu ses distances avec sa mère qui se comporte toujours plus en manager toxique qu’en maman aimante et profite abusivement de ses gains. En 1945, son union avec Minnelli aboutit à l’arrivée de leur petite Liza, et ils trouvent le temps de tourner un second film. Cette fois, ce sera un mélodrame, le premier dans la carrière de la miss: intitulé The Clock, il s’agit d’une réflexion sur le temps, ennemi des hommes, faisant et défaisant les destins. Hélas, il est sanctionné par un échec cinglant, le public refusant en bloc que Judy n’y chante pas le moindre air et ne la trouvant pas crédible en actrice dramatique. Allant toujours de l’avant, jamais en repos ou presque, montée sur ressorts par toute sa batterie de médicaments quotidiens, la jeune femme ne se décourage pas et accepte une troisième collaboration avec son mari. Le Pirate sort en 1948, cette comédie musicale aux couleurs chatoyantes, issue d’une pièce de Broadway, emmenée par la musique magnifique de Cole Porter, déconcerte et séduit à la fois et ses retrouvailles avec Gene Kelly finissent par emporter le morceau. Le titre Be a Clown en est le joyau de la BO. Peu après, elle joue face à Fred Astaire dans Parade de Printemps, alors qu’en coulisses, son état psychique chancelant pose de plus en plus de soucis, elle tient difficilement des journées entières à donner le meilleur d’elle même, ses absences répétées et ses sautes d’humeur imprévisibles agacent l’équipe et encore plus Mayer, ne désirant qu’une chose: tenir en laisse sa vedette, se fichant pas mal de sa santé. Judy brûlait la chandelle par les deux bouts, excessive, passionnée et son couple s’effrite progressivement. Minnelli ne sait plus comment juguler l’autodestruction de sa muse et ne peut que la soutenir dans ses fréquents séjours en cure de désintoxication. L’amour ne va plus suffire à les maintenir inséparables.

Abattue et épuisée, Judy se débat avec ses dépressions nerveuses, son tonus défaillant, elle qui ne vit que pour son Art et pour tenir quoiqu’il en coûte. Elle doit un dernier film à la MGM, un mauvais opus appelé La Jolie Fermière , où une fois de trop elle tient un rôle similaire à des dizaines d’autres et n’apportant rien de neuf à son moulin. Certes, elle y est épatante, mais en pure perte, puisque jugée ingérable, le studio ne renouvelle pas son contrat, ce qui a pour conséquence un désarroi immense et une désillusion totale, dure à avaler. En 1951, elle se retrouve sans travail et pour couronner le tout, divorce de Minnelli avec lequel elle ne cesse de se disputer. Un an plus tard, elle rencontre Sidney Luft, un obscur manager, grande gueule, costaud et ils se plaisent immédiatement. Leur mariage hâtif précipite la brouille définitive de Judy avec sa mère et marque surtout son retour au pur music hall. Puisque le cinéma la boude, elle se lance dans des tournées à guichets fermés, exploitant sa voix unique, s’emparant de la scène comme personne: c’est une renaissance et finalement, Luft s’associe avec elle pour produire ses shows et leur association leur apporte des cachets considérables… qu’ils dépensent tout aussitôt en sorties extravagantes, en restaurants de luxes, en voyages à travers le monde. Ils font également deux enfants, Lorna et Joe, qui viennent apporter de la tendresse et de la chaleur dans leur foyer. Alors qu’elle bat tous les records au Palladium de Londres ou au Palace Theatre de New York, ses anciens démons jamais bien loin d’elle viennent de nouveau la tourmenter et afin de la réconforter un peu, Luft lui propose un projet dantesque: un remake flamboyant de A Star is Born (Une Etoile est née), un beau film des années 30, où elle tient le rôle d’Esther Blodgett, une apprentie comédienne accédant à la gloire, alors que son protecteur décline dans la déchéance et l’alcoolisme. Le film prend forme en 1954, Judy y donne la réplique à James Mason et la force de son interprétation demeure proprement éblouissante. De plus, elle y explore tous les registres possibles: la comédie, le drame, la danse et en point d’orgue, la tragédie! On ne compte plus les morceaux de bravoure de ce chef d’oeuvre, mis en scène par George Cukor, le réalisateur fétiche de toutes les meilleures actrices américaines. Le numéro central intitulé Born in a Trunk reste un des plus fabuleux de tout le 7e Art et renvoie en prime Judy à sa propre histoire. Celle d’une gamine douée, dont la vie n’a pratiquement eu lieu que sur les planches. Elle est citée à l’Oscar, part favorite avec toutes les chances de son côté, mais le soir de la cérémonie, ce n’est pas son nom qui est convié sur scène. Elle échappe au trophée tant convoité, au détriment de Grace Kelly, bonne comédienne certes, mais cette injustice suprême sonne comme le « début de la fin » pour Judy.

A partir de là, quelque chose semble se casser en elle et son parcours au cinéma se voit fort compromis. Alors, pour sauver la face, elle revient encore au rôle dans lequel on la désire toujours: celui de show woman. Elle entame ses débuts à la télévision en 1955 pour une émission de la CBS, battant les chiffres d’audience et surtout repart dans des tournées mondiales si fatigantes qu’elle redouble sa consommation de psychotropes, y ajoutant aussi l’alcool, afin de parfaire un cocktail déjà explosif. Sa force de caractère et son endurance l’aident à pratiquer son métier, souvent bien au delà de ses forces, à l’instar d’Edith Piaf, la grande chanteuse française qu’elle admire tant. Bon an mal an, elle enchaine les représentations jusqu’à l’apothéose de son concert le plus mythique au Carnegie Hall, en 1961. Elle met les bouchées triples et offre du jamais vu, devenant une légende vivante. Tout en enregistrant une douzaine de disques, caracolant en haut des hit parades entre 1955 et 1962. Son instabilité émotionnelle et affective, accentuée par ses addictions, accélère la chute de son mariage avec Luft. Nouveau divorce pour elle et des batailles juridiques incessantes pour la garde des enfants. L’engrenage des dépressions et des crises de nerfs lui vaut d’être internée plusieurs mois dans des institutions psychiatriques. Prise à la gorge, elle accepte malgré tout un petit rôle dans Jugement à Nuremberg, à l’aube des années soixante, et le réalisateur Stanley Kramer la dirige avec beaucoup de tact dans cette partition pathétique d’une Allemande, venant témoigner contre les nazis. La voilà renommée aux Oscars dans la catégorie des seconds rôles dramatiques par une Académie qui la snobera encore. Après ça, elle ne fera plus que deux autres films: en 1963, elle joue dans la seconde réalisation de John Cassavetes, Un Enfant attend, où elle est émouvante en prof de musique dans une école d’enfants attardés et enfin dans L’Ombre du Passé, un mélodrame pesant et daté qu’elle seule interprète avec conviction. Deux échecs au box office. Plus personne ne semble attirer par ses performances sur grand écran. Elle alterne alors l’anorexie, la boulimie, les hospitalisations et ses plus rares moments de gaieté lui sont accordés sur la scène ou dans des shows TV, dans lesquels elle rechante à la demande ses titres les plus forts.

Au mi temps des sixties, criblée de dettes, le corps usé et prématurément vieillie, elle se remarie encore avec Mark Herron, un piètre acteur de seconde zone, qui ne parviendra pas plus que ses autres époux à la guérir de ses dépendances. En 1967, elle entame le tournage de La Vallée des Poupées, mais son état de santé pitoyable l’oblige à renoncer aux prises de vues. Broyée par tout un système, le corps et le coeur au bout du rouleau, Judy perd pied, simule le bien être et ses sourires mécaniques ne trompent plus personne. Bousillée par un métier ravageur et cannibale, elle s’est gavée de médicaments pour maigrir, rester en forme, correspondre à une image figée, plaire aux studios, être comme il faut, sans écouter ses propres besoins. Elle fut même une des premières icônes gay à une époque où l’homosexualité était taboue et rarement assumée. Le 22 Juin 1969, son destin tragique est scellé quand elle est retrouvée morte sur le carrelage de sa salle de bains, victime d’une overdose sûrement accidentelle de pilules, cette fois fatales pour de bon. Elle venait juste d’avoir 47 ans, et en paraissait vingt de plus!  A quoi a-t-elle pu penser dans son dernier soupir? A cet arc en ciel lointain qu’elle évoquait et invoquait du bout de ses lèvres avec la puissance de ses tripes? Ou bien au temps de l’innocence, de ses toutes jeunes années? Elle avait depuis longtemps déjà renoncé à atteindre une plénitude illusoire, revenue de l’enfer, meurtrie dans sa chair, elle si lumineuse savait plus que quiconque ce que signifiait le mot « survivre ».

 

1 COMMENTAIRE

  1. Excellent survol de la grande Judy Garland, qui aurait eu 100 ans en 2022. Elle était un personnage compliqué qui a eu une vie compliquée qui est difficile à résumer en quelques paragraphes. Mais Olivier a réussi à en faire un portrait captivant qui vous motive à voir ses films et écouter ses disques. Bravo !

    LAWRENCE SCHULMAN

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