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GERARD DEPARDIEU

1948/ ?

Gérard Depardieu pousse son premier cri à la fin de l’année 1948, à Châteauroux. D’un père tôlier et d’une mère consignée au foyer et à l’éducation, il a d’abord une enfance plutôt heureuse et paisible, dans ce milieu prolétaire, mais c’est à l’adolescence que les choses se gâtent, entre les mauvaises influences et son caractère tempétueux. Bagarreur, peu enclin aux études, et loubard dans l’âme, le jeune homme fait les quatre cent coups, multiplie les petits larcins, et mène une vie un peu marginale, jamais très loin du spectre de la violence. La délinquance le guette vers l’âge de seize ans, alors il commence à chercher des petits boulots, il sera entre autres livreur et plagiste, grâce à sa corpulence et son physique massif. Il ne pourra pas trouver son salut dans l’armée, qui le réforme illico: en effet, il apprend qu’il souffre d’hyperémotivité pathologique. Pratiquement analphabète et même bègue, son avenir semble peu reluisant, pourtant son appétit de vivre et de se dépasser va déjouer tous ces sombres pronostics. Le hasard veut qu’il assiste à une représentation de Don Juan et il trouve là sa vocation, en tout cas son attrait immédiat pour la scène et le jeu. Il débarque à Paris au milieu des années 60 et sa rencontre avec Jean Laurent Cochet bouleverse son existence, avec lui il prend des cours de dictions, se plonge dans la lecture des grands classiques, et fait ses premiers pas dans le métier de comédien. Claude Régy le repère et lui trouve une nature unique qu’il prend soin de polir, lui conseille de courir les castings et de tenter sa chance au cinéma. Tout d’abord, il obtient des petits rôles chez Audiard, Tchernia, Giovanni ou René Allio, côtoyant les grandes vedettes du début des années 70, comme Delon, Belmondo ou Jean Gabin. Sa présence d’emblée remarquable fait de lui un des jeunes espoirs les plus prometteurs de sa génération.

La grande romancière Marguerite Duras, passée à la réalisation, lui donne un petit rôle de voyageur de commerce débarquant dans une maison tenue par deux femmes, dans Nathalie Granger. Le film sort en 1972, il est d’un ennui abyssal, mais on retient tout de suite sa performance, tant il déploie déjà un naturel exceptionnel. Mais c’est surtout la consécration avec le tollé et le scandale des Valseuses de Bertrand Blier que Gérard assoit pour de bon son talent et sa fougue. En jeune loubard brut de décoffrage, grande gueule et osant tout, il compose en duo avec Patrick Dewaere un personnage inoubliable, « décontracté du gland » comme il dit, savoureux et donnant un grand coup de pied au cul des bonnes moeurs. Le film est un triomphe et dès lors, sa carrière est sur les rails, ne cessant de s’étoffer et de lui ouvrir la porte des projets les plus variés. Il enchaine avec Barocco en 1976,  ce film surréaliste et hyper original d’André Téchiné marque sa première rencontre avec Isabelle Adjani. Dans le même temps, il joue un chirurgien poussé à bout dans 7 Morts sur Ordonnance, il est formidable aussi dans la fresque fleuve 1900 de l’italien Bertolucci, avec comme partenaire Robert de Niro, à l’aube lui aussi d’une carrière prestigieuse. Gérard est un artiste sauvage, libre, disponible pour tout, et sa jeunesse, alliée à une santé mentale et physique hors du commun, est un atout majeur contribuant à son vedettariat. Son secret? Avoir toujours gardé une part d’enfance, une rage de vivre et d’apprendre, sans chercher à ramasser les lauriers à tout prix. C’est un aventurier boulimique de rencontres et de travail, un bolide que l’on ne peut arrêter. En 1977, il impressionne encore avec sa prestation dans Dites lui que je l’aime, mis en scène par Claude Miller: il est un jeune homme obsédé jusqu’à la mort par une femme qui ne l’aime pas et à qui il voue une passion dévorante. Inquiétant et fragile à la fois, ce beau rôle prouve l’immensité de sa palette. Il retrouve aussi Blier en 1979 pour Buffet Froid, autre monument devenu un classique, sur lequel il se lie d’une belle amitié avec Jean Carmet. La décennie 70 s’achève, il a déjà tourné dans plus de 20 films, devenant incontournable, et il a même eu le temps de fonder une famille. Marié avec Elisabeth, actrice elle aussi à ses heures, ils ont deux beaux enfants, Guillaume et Julie, permettant à Gérard d’avoir un ancrage solide dans sa vie privée.

Le début des années 80 est marqué pour lui par deux rencontres phares avec des cinéastes inspirés: d’abord, Maurice Pialat lui offre le rôle titre de Loulou, dont on dira que le personnage de loubard paumé et désocialisé colle un peu trop à sa personnalité d’ancien petit délinquant, mais son duo d’amour plein d’authenticité formé avec Isabelle Huppert fait merveille et ravit critiques et public. Ensuite, François Truffaut lui confie Le Dernier Métro, dans lequel il est un acteur de théatre sous l’Occupation, tombant amoureux d’une femme de tête, jouée par Catherine Deneuve. Le succès monstre du film (10 Césars dont un pour lui , 5 millions d’entrées) font de lui le comédien numéro un, celui que les plus grands s’arrachent. Il retrouve Truffaut l’année suivante pour un de ses plus beaux films: La Femme d’à côté, où sa sensibilité exacerbée et sa passion destructrice avec Fanny Ardant vont rentrer à jamais dans les annales du 7e Art. Ce sublime film d’amour dont on ne peut se lasser malgré de multiples visions reste encore aujourd’hui un sommet de son parcours. Son regard doux, sa voix reconnaissable entre mille, sa spontanéité et une part féminine assumée sous ses airs de gros dur séduisent par delà les frontières. Débarrassé très vite des tics, des scories ou d’une technique trop voyante, Gérard laisse venir ses personnages à lui, ce sont presque eux qui l’habitent, et non le contraire! Il est capable de tout jouer, avec un égal plaisir: d’ailleurs, il fait équipe avec Coluche pour L’Inspecteur la bavure, une comédie de Claude Zidi, dans laquelle il fait mouche, mais surtout dans La Chèvre, en tandem avec Pierre Richard, démontrant un potentiel comique époustouflant. Une autre de ses qualités est la fidélité, il tournera souvent avec ses mentors et réalisateurs d’envergure (9 fois avec Blier, 4 avec Pialat, 5 avec Francis Veber, 3 avec Alain Corneau, 3 avec Alain Resnais, 3 avec Claude Berri, etc…), sans avoir peur aussi de faire des premiers films ou de s’aventurer dans des univers insolites (La Lune dans le caniveau de Beineix, Rêve de Singe de Ferreri). En 1982, il incarne Danton pour Andrewj Wajda, entamant là une série de films consacrés aux grandes figures historiques de notre Patrimoine, lui permettant de donner dans la démesure, son credo favori en somme. En ogre bulldozer capable d’abattre des montagnes, ses rôles sont inscrits dans ses gênes en quelque sorte. Impossible d’évoquer en détails toute sa filmographie tant elle est riche, mais bien sûr quelques films vraiment marquants se détachent: au milieu des années 80, il retrouve Pialat pour deux oeuvres aux antipodes: le polar social et sombre de Police et l’austérité du texte de Bernanos avec Sous le Soleil de Satan, où il joue l’Abbé Donissan nouant une relation malsaine et fallacieuse avec une adolescente coupable d’assassinat. Le film remporte une Palme d’Or à Cannes, mais dans une polémique incroyable, dans laquelle Depardieu ne prendra pas part. Ensuite, il renoue avec le cinéma plus populaire de Blier et plonge la tête la première dans Tenue de Soirée, où il est amoureux de Michel Blanc et veut en faire « sa petite femme ». Au delà du thème de l’homosexualité et du travestissement, le film fait hurler de rire par ses dialogues crus, mais irrésistibles. Autre carton aussi pour Jean de Florette d’après Pagnol, où il est fabuleux de justesse face à Daniel Auteuil et Montand. A la même période, et comme si ca ne lui suffisait pas, il devient aussi metteur en scène d’un Tartuffe , car Molière fait partie de son panthéon d’auteurs à jouer.

Il cultive des amitiés fortes avec des artistes aussi différents que Pialat, Toscan du Plantier, Blier bien sûr mais aussi la chanteuse Barbara. Avec et pour elle, il accepte de monter sur scène en 1986 afin de défendre le spectacle Lily Passion : un défi incroyable sur plusieurs mois de tournée, où il a l’humilité d’être au service de la Grande Dame Brune, dont il admire autant les chansons que l’extrême sensibilité. Puis, il poursuit son circuit des rôles « monstres »: en trois ans, il incarne Rodin face à une Camille Claudel/ Adjani transfigurée, Christophe Colomb dans le 1492 que réalise l’américain Ridley Scott et surtout en 1990 il devient un gigantesque Cyrano de Bergerac , filmé avec soin et superbe par Jean Paul Rappeneau. Ce film fera le tour du Monde, le sacrant Star définitive et plus grand acteur vivant. Il faillit même décrocher l’Oscar, mais une campagne calomnieuse menée par le magazine Time contre lui (et sa jeunesse chaotique déterrée) l’empêcha d’obtenir le fabuleux prix. Il aura néanmoins le second César de sa carrière, ainsi que la statuette d’interprétation à Cannes. Sa nature abondante, excessive lui est reprochée et les mauvaises langues commencent à jalouser son impressionnant parcours. Lui demeure indomptable, imperturbable, avec une intelligence de la vie rare, et surtout ignorant de toute sagesse. Il a compris que  pour durer, il ne faut rien lâcher, se battre en permanence et tourner coûte que coûte! Quitte à être omniprésent. Quand la décennie 90 arrive, sa filmographie affiche un compteur de plus de 120 longs métrages. Berri le prend dans les mines du Nord pour son adaptation du Germinal de Zola, le chanteur Renaud est Lantier, mais Gérard l’écrase presque par sa stature et son charisme absolu. Il est aussi le héros du tout dernier film de Pialat Le Garçu, une chronique tendre et cruelle à la fois, où il est à nouveau bouleversant. Enfin, le public des plus jeunes l’adore en Obélix pour Claude Zidi, il n’aura pas à beaucoup forcer pour être le célèbre gaulois d’Uderzo et Gosciny, car depuis quelques années, l’acteur s’est considérablement épaissi, ne le privant pas de son énergie hallucinante.

Niveau vie personnelle, Depardieu divorce après 22 ans d’une belle union avec Elisabeth, entame quelques liaisons, puis se remet sérieusement en couple avec Carole Bouquet. L’actrice qu’il a retrouvé dans Trop belle pour toi va partager sa vie pendant près de dix ans. Il ajoute d’autres cordes à son arc, en devenant producteur, hommes d’affaires et se lance aussi dans l’exploitation viticole. En bon vivant notoire, rien d’étonnant à ce qu’il ai oublié toute forme de raison, et qu’il ai voulu explorer d’autres horizons. Il compose un Vatel un peu décevant dans le film de Roland Joffé, avant d’attaquer le nouveau millénaire. Parmi ses réussites notables des années 2000, il faut surtout retenir un très bon Rappeneau, pendant l’exode de Juin 40, Bon Voyage, avec à nouveau Isabelle Adjani, un policier réaliste et sans concessions d’Olivier Marchal 36, quai des Orfèvres, où il est bluffant en flic corrompu, et en 2006, une étonnante histoire d’amour signée Xavier Giannoli, où il est un chanteur de bal séduisant la jolie Cécile de France. Quand j’étais chanteur sera un succès inattendu. Hélas, la vie se charge de lui asséner un terrible coup du sort, avec la mort prématurée de son fils. Guillaume n’avait que 37 ans, il entretenait avec lui des rapports ambivalents, allant de l’admiration à la rancune, acteur lui même, le jeune homme avait sûrement eu un mal fou à exister dans l’ombre d’un père à l’aura aussi « envahissante ». Mais cette disparition marque une cassure très nette chez Gérard: pudique et n’aimant pas s’épancher sur ses douleurs, il n’en parlera pas ou presque. Il se jette plus que jamais dans son métier, tournant tout et n’importe quoi, devenant aussi une figure du petit écran pour Josée Dayan. Elle le dirige dans une énième version des Misérables d’Hugo, puis dans le Comte de Monte Cristo et dans Balzac ou Les Rois Maudits. Bref, il se disperse tant et tant que le public s’y perd un peu. Il est devenu alcoolique et use de la bonne chair, au mépris de sa santé, rien ne semble pouvoir apaiser son chagrin de père, hanté par le fantôme de ce fils qu’il adorait. Alors, que lui importe encore de briller ou de tenir dans ses bras les plus belles actrices du monde (il les a toutes croisés: Adjani, Birkin, Bonnaire, Azéma, Miou Miou, Baye, Bouquet, Sigourney Weaver, Huppert, Ardant, Marceau, Jobert, Béart, Paradis, Moreau, etc… mais celle avec qui l’alchimie fut sûrement la plus évidente est Deneuve, avec qui il tourna huit fois!). Le roc au coeur tendre, vigoureux et acharné ne s’est autorisé aucun stop, comme lancé dans une fuite en avant pour défier le temps.

Ces dix dernières années, il a fait davantage parler de lui et défrayer la chronique par ses dérapages nombreux, que les médias se sont empressés de relayer, en bons charognards avisés. Prises de positions politiques en faveur de Poutine, déclarations irréfléchies sous le coup d’un verre de trop, il use de son franc parler contre les pouvoirs en place, la mondialisation, les dérives du monde moderne et d’Internet, et règle quelques comptes dans des livres biographiques où il s’ingénie à dénoncer la culture chancelante, la médiocrité ambiante et à expliquer son besoin de voyager à travers la planète pour découvrir d’autres civilisations, d’autres univers. Le cinéma lui prend toujours une part essentielle de son temps, mais il ne fait plus de promo à outrance, en se foutant royalement des commentaires exprimés ici ou là sur son compte. Dans une filmo ahurissante de plus de 200 films, ses ultimes excellentes prestations sont chez François Ozon (Potiche en politicien éternel amoureux de Deneuve), chez Délépine et Kervern (Mammuth est une réjouissante comédie sur un retraité que ses anciens patrons ont oublié de déclarer!), et chez Guillaume Nicloux (Valley of Love l’entraine avec Huppert sur les traces de son fils disparu dans la Vallée de la Mort, il y est éblouissant et tellement touchant!). En 2019, il renoue avec la veine comique dans Thalasso, où il côtoie l’écrivain Michel Houellebecq, en cure comme lui. Leur duo truculent et bourré de clins d’oeil est savoureux. A 72 ans, Depardieu continue à composer avec profondeur et vérité comme s’il peignait une toile de maître, fonçant dans les murs tête baissée, tel un cheval fougueux et toujours en éveil. Il sait qu’on ne change pas les rayures du zèbre, que la folie est nécessaire en toute chose et en vivant mille vies, en incarnant tant d’hommes différents, il est parvenu à devenir quelqu’un, lui le chenapan de Châteauroux à qui l’on prédisait de n’être personne.

 

 

3 Commentaires

  1. Mais quel beau texte que ce portrait de Gérard depardieu !! Une verve et un style très accrocheurs ! Tu as très bien cerné cette personnalité hors du commun et fouillé de façon magistrale cette filmographie impressionnante d’un homme qui a rejoint la cour des grands par une volonté et une rage de vivre exceptionnelles bravo mon fils tu devrais publier tes portraits !

  2. C’est un acteur que j’adorais y a 30 ans, j’étais ado et je découvrais ce personnage opulant devenir une star internationale avec ses grandes figures historiques ou litteraires. C’était LA star française, on le découvrait tout autant drôle, tendre, amoureux ou touchant, et puis il y a les films de Blier qui font scandale mais fascinants pour un ado. Aujourd’hui, avec toutes ses frasques et beaucoup de films oubliables sur sa deuxième moitié de carrière le Monstre est décevant. Les temps changent et mon regard aussi. Certains de ces grands films vus aujourd’hui, à l’époque Meetoo, posent problèmes. Les personnages se confondent avec l’acteur, on ne peut que se poser des questions sur son comportement vis à vis des femmes et de la sexualité. J’ai vu pour la première fois ce mois-ci le « Police » de Pialat, je n’ai pas du tout aimé Depardieu dans ce rôle aux gestes explicites et vulgaires face à la toute jeune Sophie Marceau. Alors oui, c’est un rôle et il le joue merveilleusement bien, mais y a t-il une frontière entre l’acteur et le personnage. J’ai du mal à revoir ces films. D’ailleurs déjà à l’époque des Oscars pour Cyrano, c’était surtout des propos envers les femmes qui avaient choqués les Américains et qui avaient fait scandales.
    Malgré ça, on retiendra une carrière impressionnante avec des personnages et des films magnifiques, c’est vrai, on ne touche pas à un monument du cinéma et de la culture française.

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