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MARLENE DIETRICH

1901/1992

En décembre 1901, la venue au monde dans un quartier modeste de Berlin de Maria Magdalena Loch Dietrich, marque le début d’une des destinées les plus incroyables du XXe siècle. Notre héroïne connut une éducation stricte avec des parents aimants et elle cultiva dès l’âge de dix ans ses dons innés pour la musique et le chant, sans penser toutefois en faire sérieusement son métier. Dès les premières sombres heures du conflit mondial de 14/18, son père est tué sur le Front et laisse la petite Marlène, seule avec une mère qui va tout mettre en oeuvre pour la pousser vers les arts. Le violon sera, croit elle, son salut et elle se démène pour devenir une violoniste accomplie, jusqu’à une blessure fatale à l’annulaire la poussant à renoncer. La voici apprentie comédienne, prenant le pseudonyme de Marlène, faisant des débuts timides dans des théatres allemands, multipliant les rôles dans des revues, sous l’influence notamment de Max Reinhart, une pointure de l’époque. Il lui obtient des castings et elle tourne dans d’obscurs films oubliés aujourd’hui et qu’elle même n’aura de cesse de dénigrer, lorsqu’elle aura atteint les sommets. C’est à la fin des années 20 que son destin va s’écrire. Elle rencontre Josef Von Sternberg, il lui offre d’être la partenaire du grand acteur d’alors Emil Jannings dans le film qui va tout changer: L’Ange Bleu. Lorsque le film sort en 1930, l’arrivée du parlant a envahi les écrans et le public découvre cette actrice magnétique, juchée sur un tonneau, en porte jarretelles, chapeau claque, entonnant « Je suis faite pour l’amour de la tête aux pieds ». Comment résister à pareil ouragan? Son personnage de Lola Lola rendant fou d’amour et de désir un professeur vieillissant rentre d’emblée dans l’Histoire. Sternberg a t’il conçu le mythe qu’elle devient du jour au lendemain? Oui et non, il ne fit que révéler le diamant brut au grand jour, en la regardant et la filmant magnifiquement et amoureusement. Le Studio Paramount leur propose un contrat juteux et les voila traversant l’Atlantique pour continuer leur collaboration.

Hollywood tombe sous son charme dévastateur, suscitant l’admiration, la fascination partout où elle passe, avec sa voix rauque, son visage unique au regard profond, ses très longs cils, son air mystique et ses joues creusées. En Pygmalion avisé et talentueux, Sternberg façonne son image parfaite de femme fatale: d’abord, elle affine sa silhouette, teint ses cheveux dans un blond châtain étincelant, et lui capte son aura, la sculptant par des lumières et des jeux d’ombres d’un esthétisme très raffiné. Leur second film est Morocco où Gary Cooper joue un légionnaire tombant amoureux d’elle, alors qu’elle chante dans un cabaret, vêtu d’un costume d’homme. L’ambiguité sexuelle fait également partie du mystère Marlène, elle saura comme personne en tirer profit. En 1932, suivra le très beau Shangaï Express, le film tout entier reposant sur ses épaules, sa plastique et son jeu aussi qu’elle améliore de rôle en rôle, sachant elle même quel effet produire sur la gent masculine. Dans le milieu, les producteurs ont nourri l’idée fixe d’en faire la rivale de Greta Garbo, alors au faite de sa gloire. Les deux femmes ne se croisent que de loin en loin, Marlène compte surtout faire sa propre place et déteste les comparaisons hâtives. Là où la suédoise privilégiait la froideur, le mutisme et la distance, l’allemande s’efforce de mettre en avant son sex appeal. Mais avec beaucoup d’intelligence, elle fuit le déshabillage gratuit et la nudité facile, au contraire elle s’applique à parer son corps divin d’écrins sophistiqués, d’accessoires et d’artifices décoratifs somptueux et laissant à l’imagination encore plus de latitude. Ainsi, dans Blonde Venus, elle apparait affublée d’une peau de gorille ne laissant voir aucun centimètre de peau, ou encore dans L’Impératrice Rouge, elle assume la surcharge vestimentaire avec fourrures, dorures, plumes et autres châles affriolants pour incarner l’Impératrice Catherine de Russie. Enfin, en 1935, l’ultime long métrage réalisé par Sternberg pour sa muse La Femme et le Pantin ne sera pas le succès attendu. Après sept films ensemble, leur route se sépare et l’ambition de Marlène va être de perdurer et se réinventer, sous la direction de nouveaux metteurs en scène.

La galatée souveraine entretient une vie privée agitée. Mariée en 1924 avec un régisseur du nom de Rudolf Strieber, elle ne sera mère qu’une fois en mettant au monde une fille, Maria, qui la suivra partout dans ses aventures autour du monde. Elle ne divorça jamais, mais son palmarès de liaisons (réelles ou supposées) donne le vertige. Gary Cooper, John Wayne, James Stewart, Yul Brynner comptent parmi ses illustres amants acteurs. Mais aussi chez les écrivains, Eric Maria Remarque ou Ernest Hemingway partagèrent un temps sa vie et son lit. Scandaleuse par son franc parler, ses attitudes, elle ne cache pas non plus sa bisexualité, notamment avec Mercedes De Acosta, l’ancienne petite amie de Garbo. En star absolue, Marlène prolonge son ascension avec des films comme Ange ou Désir, deux comédies signées Ernst Lubitsch et Franck Borzage, qui sauront mettre en valeur son humour, sa classe et son tempérament de vamp en perdition. En 1938, elle est à l’affiche de Femme Ou Démon, elle y prend dans ses filets James Stewart et brille dans sa composition d’entraineuse envoutante. Après cet épisode, les déconvenues commencent à s’accumuler pour elle, puisque ses derniers films accusent des bénéfices trop faibles et on la surnomme le « Poison du box office », comme quelques unes de ses consoeurs actrices, Bette Davis ou Joan Crawford. Mais la créature voluptueuse n’a peur de rien, entend assoir son prestige et se moque bien de la quarantaine approchante. Depuis quelques années déjà, le régime nazi a pris le pouvoir en Allemagne, sa patrie de coeur, et elle est même invitée par Goebbels à rejoindre le mouvement fasciste. Elle refuse tout net de devenir la comédienne emblématique d’un tel parti et renie dès lors toutes ses relations avec son pays d’origine, en critiquant ouvertement les idées d’Hitler. Puis, dans un geste fort, elle devient citoyenne américaine et met sa célébrité au service de l’effort de guerre, dès le commencement du conflit en 1939. Elle part ensuite pour le Front européen, soutenant sans faillir le moral des troupes américaines et britanniques. La vedette immense qu’elle est rend visite à des soldats dans des hôpitaux, rejoint l’armée du général Patton et habillée d’un véritable uniforme de GI, elle lutte à sa manière et en décidant de donner des dizaines de concerts, chantant des airs patriotiques ou quelques titres fredonnés dans ses anciens premiers films. Durant cette période troublée, elle fait la connaissance de Jean Gabin, exilé en partie aux Etats Unis et ils forment bientôt un couple légendaire. Notre acteur français en pince sérieusement pour « Sa Prussienne » comme il la surnommait et découvre en elle une femme plus simple et plus ‘terrienne » qu’on pouvait l’imaginer. Adorant par exemple cuisiner de bons petits plats pour lui, elle devient une femme au foyer amoureuse et dévouée, délaissant quelque peu le cinéma. A la Libération, Marlène, considérée comme une résistante infatigable, demeure l’actrice la plus connue ayant oeuvré à ce point pour la liberté et la paix. Elle recevra d’ailleurs une Légion d’Honneur fort méritée.

En 1946, Gabin et elle ont l’opportunité de tourner ensemble dans un film en français (elle parle désormais couramment notre langue avec son accent irrésistible), mais Martin Roumagnac, laborieux mélo platement réalisé n’ajoute rien à leur légende respective. Ensuite, elle a plus de mal à dégoter de bons scripts et sa carrière au cinéma marque le pas. Une nouvelle génération de jolis minois débarque sur les écrans et Marlène doit se contenter de rôles moins fameux, heureusement souvent devant la caméra de grands noms, comme Billy Wilder lui proposant La Scandaleuse de Berlin, un beau scénario ambitieux, mais qui n’obtient pas l’adhésion générale. La décennie 40 se termine en demi teintes et au bout de cinq ans de relation, son union passionnelle avec Gabin s’achève, pour « incompatibilité » de projets communs. Elle clamera jusqu’à la fin de sa vie qu’il fut l’unique grand amour de son existence. Pour oublier cette déchirure, elle repart tourner à Hollywood, et démarre les années 50 avec faste, puisqu’elle campe l’héroine fatale (encore) du Grand Alibi , un thriller signé Alfred Hitchcock. En 1952, une nouvelle superbe alliance voit le jour entre elle et son compatriote Fritz Lang. Le beau western dans lequel le réalisateur de M. Le Maudit la dirige s’appelle L’Ange des Maudits. Le tournage pourtant sera un enfer et l’entente entre les deux catastrophique. Le résultat sera sanctionné par un four au box office. Cette fois, Marlène comprend que son avenir en tant qu’actrice s’assombrit indéniablement, alors elle enregistre des émissions radiophoniques où elle joue avec son image, son âge et dévoilant ses recettes de cuisine, ou racontant des anecdotes sur ses années triomphales. Un jour, elle décide tout simplement d’entamer la seconde partie de sa fabuleuse carrière, en annonçant un retour fracassant en tant que chanteuse de music hall. Est ce sa récente et forte amitié avec notre Edith Piaf nationale ou sa volonté de monter sur scène pour éprouver le trac grisant et savourer les applaudissements des foules en délire? Toujours est il que dès 1954, s’ouvre pour elle une longue série de récitals donnés dans le monde entier. De Las Vegas à New York, de  Londres à Rome, de Buenos Aires à Mexico, en passant par l’Israêl et la Turquie, la divine va galvaniser des millions de spectateurs avides de la découvrir en chair et en os.

Le Music Hall apporte une seconde jeunesse à celle qui n’a jamais perdu une occasion de faire entendre sa voix suave et cajoleuse, coquine par instants, magique toujours. Cette aventure fantastique prolonge de la façon la plus éblouissante son mythe vivant. Chantant en anglais, en allemand, en français, accompagné de son chef d’orchestre et nouvel amant Burt Bacharach, elle assure des concerts de plus de deux heures, où son apparence hypnotique coupe le souffle de ceux et celles venus l’acclamer. En effet, dans des costumes splendides, des toilettes époustouflantes des plus grands couturiers (Dior, Jean Louis, Chanel, etc…) la Star égraine son répertoire composé de titres comme « Falling in love again », ‘Boys in the Backroom », « Lola » et crée des émeutes en interprétant son Lily Marlen éternel ou sussurant délicieusement La Vie en Rose. En comédienne née, elle sait converser avec son public dans des échanges verbaux plein de sous entendus ou de mots d’esprit. Avant de fêter ses 60 ans, la Dame trouve le temps nécessaire de revenir dans quelques petits rôles au cinéma. On se souvient entre autres de Témoin à Charge de Billy Wilder, un film de procès passionnant à suivre pour son suspense haletant, mais également en 1958, où elle joue pour son ami Orson Welles une bien curieuse gitane voyante brune, le maquillage très prononcé dans le poisseux La Soif du Mal. La décennie 60 la voit à nouveau militant contre les idées extrémistes colportées par les nazis, elle se rend à Berlin pour un tour de chant à l’accueil glacial, elle se fait même cracher dessus par des femmes à la sortie du spectacle, ne lui ayant jamais pardonné d’avoir « quitté le nid ». La meilleure réponse que Marlène apporte est sa participation à Jugement à Nuremberg, le film fleuve de Stanley Kramer, relatant les procès des anciens criminels de guerre. En 1967, elle obtient un Tony Award pour sa prestation à Broadway, elle qui n’a jamais remporté le moindre Oscar. Justice est faite! Ses concerts rôdés au millimètre lui conférent une gloire constante jusqu’en 1975. Un soir, elle chute assez gravement lors d’un show new yorkais et c’est le « début de la fin ». Une consommation d’alcool excessive serait à l’origine de sa santé défaillante, même si physiquement, elle fait encore illusion dans ses toilettes brillantes et sa cohorte de bijoux. L’Ange Bleu veut tenir bon, mais le pronostic de ces médecins est un coup de massue: elle doit prendre sa retraite et cesser toutes ses tournées épuisantes.

 

Son ultime apparition publique connue et filmée reste son rôle de cinq minutes dans Just a Gigolo, un drame musical assez commun, où elle est une baronne un peu bouffie croisant le chemin de David Bowie. Elle y chante avec une voix fatiguée et cassée, mais on sent poindre une émotion et une mélancolie bouleversantes. Dans un dernier murmure, elle déclare « Et la vie continue sans moi… » aux résonnances particulièrement prémonitoires et douloureuses. Se découvrant aux rushes, Marlène prend une décision radicale: ne plus paraître telle quelle est devenue, à l’aube de ses 80 ans, la mort dans l’âme, elle tire le rideau et commence pour elle un isolement quasi total dans son appartement du 12 de l’Avenue Montaigne, dans ce Paris qu’elle adorait tant. Quelques amis triés sur le volet sont ses seuls liens avec l’extérieur, qu’elle redoute plus que tout. Le journaliste Louis Bozon, le comédien Jean Claude Brialy et sa fidèle secrétaire se relayent pour des visites, des repas, des conversations sur tout ce qui compte encore pour elle: les Arts, la Culture, le Politique. Elle ne quitte plus son lit à partir de 1982, pendue en permanence au téléphone, vivant recluse, comme Garbo, obsédée par l’idée d’être photographiée vieillie et à milles lieux de leur splendeur d’antan. Au fond, Marlène voulait continuer à vendre du rêve à ces admirateurs, consciente de sa légende et soucieuse de ne pas tomber dans l’oubli. Une biographie faillit voir le jour par Maximilian Schell, mais elle mit tant de mauvaise volonté à rassembler ses souvenirs que ce dernier abandonna le projet en cours de route. La Dame pouvait être d’une humeur massacrante et avait la dent dure contre certains de ses anciens collègues du 7e Art, étrillant sans mâcher ses mots ceux ou celles qu’elle ne portait pas dans son coeur. Elle finit par s’éteindre en Mai 1992, le jour même où le Festival de Cannes fait son ouverture avec une photo d’elle, tirée de Shangaï Express. Avant de partir, elle a pris soin de demander à sa fille Maria de ne publier ses mémoires qu’après son départ, contrôlant jusqu’au bout sa vérité. Sa voix s’est tue, mais son empreinte sur le siècle qu’elle a traversé avec passion et courage ne pourra jamais s’effacer de la mémoire collective.

 

1 COMMENTAIRE

  1. Une vie bien remplie, menée de main de maître par cette femme au charisme incroyable, courageuse dans ses choix aussi bien professionnels que politiques . Il fallait un caractère bien trempé et une bonne dose de talent pour traverser ces époques troubles , choisir de se détourner de son pays natal pour résister à l’envahisseur nazi et en même temps mener une carrière d’actrice et de chanteuse toujours envoûtante jusqu’à l’aube de sa vieillesse . iL nous reste le souvenir d’un ange bleu qui a traversé le siècle de façon magistrale . Merci Olivier d’avoir écrit ce texte qui retrace bien l’ existence libre et assumée de cette grande dame.

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