Au début des années 30, Monsieur Verdoux est un honnête homme issu d’une famille parisienne et perd son emploi. Pour soutenir et subvenir aux besoins de sa femme et de son fils, il conçoit un plan pour épouser des veuves riches, en utilisant des noms différents, puis les assassiner pour hériter de leur fortune…
Pour prendre le contre pied de son image de Charlot que l’on avait quitté humaniste et plein d’espoir à la fin du Dictateur, Charlie Chaplin rachète un scénario écrit par Orson Welles s’inspirant largement de l’affaire Landru, dans le but avoué de montrer une facette plus cynique de son personnage si célèbre. Monsieur Verdoux est un bourgeois français calculateur, polygame, vénal et tueurs de dames qu’il prend soin de séduire au préalable! L’exact opposé du vagabond sympathique et maladroit qu’il a incarné pendant plus de vingt ans! Chaplin abandonne le sentimentalisme parfois surligné de ces autres grandes oeuvres pour dresser un constat amer sur la société capitaliste, le manque d’altruisme, les esprits bouleversés par la crise économique de 29, donnant lieu à une décennie d’inquiétudes, dérivant vers le populisme et le fascisme. Ses dialogues sont du meilleur cru et on retrouve quelques gags visuels qui ont fait sa renommée, cependant le ton acide et le propos plus sombre l’emportent nettement jusqu’au procès final, où il doit payer pour ses crimes. Malin, Chaplin se garde bien de filmer des meurtres de vieilles dames riches, mais les suggère au détour d’un plan fixe, d’un son changeant, d’une lumière qui vacille. Pour ce qui reste son vrai premier film parlant, l’auteur des Temps Modernes règle quelques comptes avec ses détracteurs américains, ceux qui ont condamné ses opinions ouvertement gauchistes. Dans cette tragi comédie, l’accusé condamné à la guillotine prend la parole pour justifier sa violence individuelle à celle collective des guerres de masse et ce discours contribua à l’échec et à la mauvaise réception du film.
Aussi à l’aise dans le comique de situation que dans le registre plus dramatique, Chaplin impose un jeu tout en nuances, rendant son personnage de dandy meurtrier finalement fréquentable et plein d’esprit: une caractéristique commune au film que fera Claude Chabrol sur le vrai Landru, quinze ans après. De ses partenaires féminines, on retient surtout Martha Raye campant une des veuves que Verdoux n’arrive pas à éliminer (des tentatives vaines qui, d’ailleurs, sont plus risibles qu’effrayantes). Chaplin prend le risque de changer de genre, arbore un humour macabre insolite, et pour aussi corrosive qu’elle soit, cette comédie noire est restée longtemps quasi « maudite ».
ANNEE DE PRODUCTION 1947.



