Son surnom est L’Oeil, il est détective privé. Il est chargé d’enquêter sur les moeurs d’une jeune femme, il découvre une criminelle qui séduit, tue et dépouille ses victimes, souvent riches. Mais au lieu de l’arrêter, il va la suivre et l’observer dans sa mortelle randonnée. Qu’est ce qui le fascine tant chez elle, est ce le souvenir obsessionnel de sa propre enfant, Marie, dont il conserve une photo de classe et qui est morte depuis longtemps maintenant?
Il s’agit certainement du film le plus complexe et le plus beau aussi du cinéaste français Claude Miller, auteur auparavant du très bon policier Garde à Vue. Mortelle Randonnée se présente sous la forme d’un polar onirique avec son récit à tiroirs déroutant et cette frontière ténue entre fantasmes, réalité, baroque et surréalisme. L’histoire de ce privé totalement dévoré par le souvenir de sa petite fille décédée dont il n’a jamais réussi à faire le deuil trouve un écho dans sa nouvelle enquête: celle d’une jeune et belle intrigante changeant d’identité et de look pour se faire d’autant plus insaisissable et qu’il suit sur les routes de France, au gré de ses méfaits. Fasciné et subjugué par la beauté de cet ange de la mort, le détective se laisse dériver dans une lente agonie qui va se trouver en parallèle avec la trajectoire meurtrière de sa cible. Un univers trouble, assez morbide, la voix off du héros masculin principal décrivant ses états d’âmes: tout concourt à faire de cette oeuvre d’une étrange beauté un poème d’amour paternel déchirant. Il est impératif de rappeler pour mieux cerner et comprendre le fond du propos que c’est Michel Audiard qui est aux commandes du scénario (les dialogues sont du coup étincelants) et qu’il épouse parfaitement la mise en scène crépusculaire de Miller.
Le film tient également énormément à son duo, mystérieux et éblouissant à la fois: Michel Serrault (déjà excellent dans Garde à Vue) joue le détective perdant pied avec le réel face à Isabelle Adjani, sublime et changeant de coiffure et de style tout au long de l’intrigue, impeccable dans son jeu pervers de mante religieuse. Les rôles secondaires, très importants, sont tenus avec brio par Guy Marchand, Sami Frey, Geneviève Page et une Stéphane Audran, enlaidie pour l’occasion. Mais si le film est un double cri de douleur, c’est bien sûr parce que Audiard et Serrault venaient tous deux de perdre leur propre fille (dans la vie) et ils injectent l’un par l’écriture, l’autre par le jeu, le poids de cette perte terrible, rentrant ainsi d’abord dans nos veines, puis jusqu’aux tréfonds de nos tripes.
ANNEE DE PRODUCTION 1982.