1921/1985
Tout commence en 1921 pour la petite Simone, née Kaminker, arrivée dans une famille modeste, où le père a déja l’amour du travail bien fait. Il est diamantaire d origine juive polonaise et a obtenu la nationalité française en s’engageant dans l’armée. La jeune fille aura des vues très tôt sur le milieu du spectacle et passe son adolescence à parfaire son éducation littéraire, théatrale, sans se douter qu’au fil des rencontres qu’elle fait au Café de Flore, très fréquenté par les intellectuels de l’époque (dont Sartre et Beauvoir notamment), sa route va la mener à ses premiers pas devant les caméras de cinéma. De la figuration d’abord (on l’aperçoit dans les Visiteurs du soir), puis au bout de quelques films elle croise le chemin du jeune réalisateur Yves Allégret qui va être sa vraie chance de perçer. Il la dirige dans Dédée d’Anvers, elle y incarne une prostituée au grand coeur qui va tellement plaire au public que Simone craindra longtemps d’être cataloguée dans la peau des putains. Cette gloire qui la propulse à 23 ans lui ouvre les portes de ce métier, qu’elle va exercer avec passion 40 ans durant.
Sa beauté stupéfiante en fait une des stars du cinéma d’après guerre et elle brille dans Macadam, Impasse des deux anges, et surtout Manèges, le second film qu’elle tourne pour Allégret devenu son mari et le père de sa fille entre temps. Ce rôle de Dora est un challenge car elle y interpréte une vraie garce, calculatrice, faisant semblant d’aimer son pauvre Bernard Blier de mari, le trompant à tout va et lui extorquant de l’argent grâce à la complicité de sa mère, pire qu’elle. C’est un film d’une noirceur terrible et il sera rejetté par le public, Simone aura du mal à se défaire de cette image et aura la sensation que le public l’identifie à cette femme fatale.
Ensuite, une nouvelle page de sa vie s’ouvre au début des années 50, après quelques films moins notables, elle va avoir 30 ans et le coup de foudre amoureux survient, inattendu, fulgurant, avec un jeune premier nommé Yves Montand, qu’elle croise à Saint Paul de Vence où elle passe tous ses étés. Elle devient sa femme après avoir quitté Allégret. En 1951, elle joue aussi un de ses plus beaux rôles Casque d’Or de Jacques Becker (encore une fille légére mais amoureuse dans cette histoire champêtre qui finit en tragédie). C’est la consécration définitive pour elle. D’autres chefs d’oeuvres vont s’enchainer (Thérése Raquin , Les diaboliques, La mort en ce jardin), les plus éminents metteurs en scènes la veulent pour vedette (Clouzot, Bunuel, Carné) et son aura ne faiblit pas. Son amour avec Montand remplit sa vie, d’autant qu’ensemble ils ont une conscience politique très développée et s’engage pour des causes multiples, croyant fermement aux vertus du communisme, jusqu’à effectuer un voyage en URSS très commenté et controversé. Ils en reviendront avec le lot de désillusions et d’amertume causé par le régime de Staline, dont ils ne soupçonnaient pas les horreurs.
Signoret passe pour une intellectuelle, parce qu’elle a le courage d’avoir des opinions et de les clamer dans une époque où les femmes avaient souvent juste le droit d’approuver leurs maris du bout des lèvres. Bien sûr, en tant qu’actrice et femme populaire, elle a cette facilité d’expression et les médias lui donnent amplement le luxe de donner son avis sur ce qui la révolte. A la fin des années 50, elle va connaitre un zénith de succès en tournant une petite production anglaise Room at the top , réalisé par Jack Clayton, dans lequel elle brille en femme mûre amoureuse folle d’un jeune arriviste. La fin sera encore tragique pour elle, mais elle va mettre les audiences à genoux et remporter l’Oscar de la meilleure actrice à Hollywood. Une première pour une française! Sa carrière là bas ne sera pas épatante, mais qu’importe, elle est déja rentrée dans l ‘Histoire. Côté vie privée, la chute s’amorce par contre dès la liaison de Montand avec Marilyn Monroe, médiatisée jusqu’ à la nausée et qui laissera des traces sur Simone, et une blessure inguérissable. Les années 60 la verront s’empâter, moins bien choisir ses personnages, et déviant lentement mais sûrement vers des jours plutôt sombres.
Sa détermination? Travailler encore et toujours, quitte à se tromper et à faire des erreurs, mais elle est si bien entourée dans ses choix que les années 70 seront encore gagnantes. Elle va rentrer dans une logique d’autodestruction « positive », c’est à dire qu’elle va grossir, s’enlaidir, et jouer des femmes dont le potentiel mental supplante les apparences physiques et ça marche! Souvenez vous d’elle dans Le chat , dans l’Armée des ombres (en résistante, une aubaine pour elle!), en Veuve Couderc (séduisant Alain Delon de 15 ans son cadet!) ou bien Police Python 357 dans lequel elle doit demander à Montand de la « suicider » dans une scène déchirante qui résonne avec leur vie de couple vacillante, hors caméras. Une carrière d’exception qui va en plus s’étoffer d’un autre prestige, lorsqu’elle devient romancière et publie deux très beaux livres, dont le premier La nostalgie n’est plus ce qu’elle était, qui est une autobiographie superbe et pleine d’autodérision et de vérités rétablies. Sa sincérité touche les gens, sa voix cassée par l’âge et l’alcool aussi contient autant de tendresse que de douleur.
En 1977, la grande Simone met un cran encore au niveau supérieur dans la dégradation physique, elle devient Madame Rosa, la dernière prostituée qu’elle jouera cette fois vieillie, difforme et revenant sur son passé qu’elle raconte au petit arabe sensible Momo, dans La vie devant soi, sûrement son dernier beau film. Elle reçoit enfin le César de la meilleure actrice qui clôt une salve de prix prestigieux obtenus dans le monde entier. Les années suivantes, on la verra beaucoup sur les plateaux télé, défendant toujours les minorités, s’insurgeant contre les régimes fascistes, condamnant la peine de mort, sans jamais user de langue de bois. Sûrement la seule comédienne française à s’être autant politisée, prouvant que l’on peut être une femme et avoir des couilles! Même quand elle sera atteinte de cécité, elle fera encore quelques apparitions sans jamais quitter le coeur des gens qui l’aimaient tant. A sa mort d’un cancer en 1985, on ne prit pas la mesure de cette perte (bien sûr il y eut de l’émotion, des hommages et des rétrospectives), mais c’est aujourd’ hui dans notre époque bien pensante, aseptisée, et dans laquelle les idées d’obscurantisme reviennent que cette incroyable bonne femme nous manque. Et avec elle son courage, sa force, ses passions.
Elle manque au cinéma français. Deneuve n’arrive même pas sa cheville.