Surqualifiée et surexploitée, Rita use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle: aider le chef de cartel Manitas del Monte à se retirer des affaires et réaliser son rêve de toujours: devenir une femme à part entière!
Après ses deux dernières oeuvres assez décevantes, le western Les Frères Sisters et le drame urbain Les Olympiades, Jacques Audiard donnait l’impression de se chercher et de vouloir à tout prix se renouveler. Nul doute qu’avec Emilia Pérez il signe son film le plus déconcertant et le plus inclassable. Quelque part entre un polar rude situé dans le milieu des narcotrafiquants mexicains et une comédie musicale « à la Demy » où les protagonistes font part de leurs états d’âmes en poussant la chansonnette. Un mélange improbable sur le papier et qui pourtant s’harmonise brillamment à l’écran, avec ce script gonflé d’un baron de la drogue souhaitant changer d’identité et surtout de sexe! Audiard ne craint ni le ridicule ni l’outrance et fonce tête baissée dans ce projet, tourné en studio à Paris, et qui nous fait voyager de Mexico à Londres, en passant aussi par la Suisse. Il y a 30 ans, il entrait en cinéma avec Regarde les hommes tomber, policier adroit de bonne facture, aujourd’hui il épouse la modernité et traite de thèmes comme la transidentité et son film pourrait s’appeler Regarde les femmes lutter! Car Emilia Pérez est une ode au féminin, au pouvoir de séduction, à leur résilience, leur force de caractère. La musique et la danse fonctionnent comme des antidotes à la violence du monde et la brutalité des hommes, sans doute de manière un peu « naïve », en tout cas sincère. Certaines invraisemblances peuvent être soulignées, mais elles ne font que rappeler qu’après tout, ce n’est que du cinéma!
Transcendé par son superbe trio de comédiennes, Emilia Pérez tient sur les épaules de Karla Sofia Gascôn, actrice mexicaine transgenre, au charisme et à la présence fulgurantes. Mais Zoé Saldana en avocate pugnace se débrouille fort bien également. Sélena Gomez, sans être mauvaise, campe l’épouse de l’ex narcotrafiquant avec peut être moins de nuances. En embrassant des genres si dissemblables (car le mélodrame pointe aussi le bout de son nez dans la dernière partie), le réalisateur d’Un Prophète déjoue les pronostics les plus attendus, quitte à tomber par moments dans la fable binaire. Cannes ne s’y est pas trompé et a décerné le Prix d’interprétation à Karla Sofia Gascôn et le Prix du Jury: une manière logique de saluer l’originalité et l’audace de ce film qui va forcément diviser.
ANNEE DE PRODUCTION 2024.