Sous la Restauration, Julien Sorel, dévoré d’ambition, séduit la femme d’un aristocrate, Madame de Rénal, puis tombe amoureux d’une jeune fille, Mathilde de la Mole…
Lorsqu’il faut adapter sur grand écran un roman très connu et foisonnant, la plupart des metteurs en scène s’y cassent les dents, tant la tâche de tout retranscrire est ardue, voire impossible. Admirateur de Stendhal depuis longtemps, Claude Autant Lara prend ainsi le parti raisonnable de s’emparer du pavé qu’était Le Rouge et le Noir en élaguant forcément l’intrigue, en coupant de nombreux passages tout en gardant au maximum l’esprit du livre. Avec ses scénaristes Aurenche et Bost, Autant Lara traite surtout de la critique sociale et délaisse volontairement l’aspect humain et le romanesque échevelé. Portrait d’un parvenu se signalant par sa piété, le récit montre l’hypocrisie de la société, le mépris de classe (les bourgeois tolérant à peine le jeune prolétaire), et se concentre sur l’histoire d’amour entre Sorel et sa protectrice Madame de Rénal. Divisé en deux parties distinctes, le film compte globalement autant de défauts que de qualités: pour les points négatifs, il est regrettable qu’Autant Lara ai cédé à sa tendance à l’académisme (ce que lui reprochera d’ailleurs vertement Truffaut, jeune critique aux Cahiers du Cinéma), l’utilisation de la voix off trop insistante pour signifier les états d’âme du héros, et enfin une photographie un peu terne pour un projet au budget pourtant confortable. En revanche, il faut saluer le travail sur les décors que Max Douy parvient à rendre beaux et stylisés, le soin apporté aux costumes d’époque napoléonienne, la partition musicale de René Cloërec empreinte d’un lyrisme auquel il est difficile de résister. Le réalisateur de La Traversée de Paris met l’accent sur le rouge de la révolte plutôt que sur le noir de la religion, car Sorel est avant tout un être refusant les conventions et les carcans, prêt à tout pour vivre ses passions, ne craignant pas les conséquences de ses actes et reste inflexible jusqu’à la mort.
L’autre atout du film se situe dans sa distribution, et plus spécifiquement en Gérard Philipe, idéal interprète pour incarner Sorel, sachant parfaitement nuancer la part de séduction et celle du cynisme, la beauté sauvage à celle de l’ambition forcenée. Face à lui, Danielle Darrieux livre une de ses plus fortes prestations, consumée d’amour et de jalousie mêlées, vibrante d’émotions contenues et le regard exprimant à merveille la perdition totale de son personnage. En contrepoint, Antonella Lualdi parait compassée et peu à son aise en Mathilde de la Mole. En résumé, Le Rouge et le Noir n’est ni l’affreux produit de Qualité Française que l’on a trop souvent honni, ni le chef d’oeuvre de son auteur: Autant Lara n’a pas trahi Stendhal, il le « simplifie » tout au plus et lui consacre 3 heures de cinéma fort convenable.
ANNEE DE PRODUCTION 1954.