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CHARLIE CHAPLIN

1889/1977

Charles Spencer, dit Charles Chaplin, a vu le jour en 1889, dans une grise banlieue londonienne. Dès l’âge de cinq ans, il monte sur les planches de dizaines de music halls, où se produit sa mère, une artiste douée, mais hélas une femme au psychisme fragile. Son père les délaisse fréquemment pour s’adonner à sa passion favorite: la boisson. Avec son frère Sydney, il se débrouille tant bien que mal pour subsister à leurs besoins essentiels, d’autant que leur mère tombe progressivement malade, et devra être internée dans une institution psychiatrique. La misère les contraint à se donner en spectacle dans des bouges minables, et même souvent dans les rues. Bref, une enfance digne d’un roman de Dickens que Charlie a passé courageusement, ne quittant jamais sa pauvre maman, décrochant des petits jobs tels que réceptionniste, garçon de café, ou vendeur de fleurs. Il s’adonne à l’acrobatie, au mime, et ces disciplines lui seront très utiles pour son destin d’artiste complet. A presque 18 ans, il intègre la troupe de Fred Karno, un comique avec qui il fait sa première tournée aux Etats Unis. Sur le continent où tous les rêves sont possibles, le petit anglais va vraiment développer son Art, travaillant sans relâche et il obtient un engagement à la firme Keystone. Dès 1913, le fameux Mack Sennett , ancien forgeron canadien, qui s’est reconverti avec succès dans le cinéma, lui donne carte blanche pour s’inventer un personnage original, qu’il pourra épanouir dans ses premiers pas à l’écran. Après moults tâtonnements et hésitations, Charlie affûte son allure d’une canne, d’un chapeau melon, d’un pantalon dans lequel il nage un peu, et surtout d’une petite moustache. Cette fois, le vagabond Charlot est né et va conquérir doucement mais sûrement le public séduit et amusé par ce petit bonhomme atypique et enchaînant les courts métrages de comédie. Il en tournera 26 avant de passer chez Essanay, où il va non seulement continuer à être acteur, mais surtout vouloir tout contrôler et devenir ainsi réalisateur.

Sa fougue créatrice et son acharnement à la besogne, alliés à une ambition démesurée ne connaitront désormais plus de limites, s’affranchissant de tous les obstacles, désireux de tourner un maximum de films en un temps record. Des oeuvres comme Charlot policeman, Charlot vagabond, Charlot violoniste montrent une maitrise croissante des mécanismes de slapstick, combinés à un certain pathos. Les métrages sont à la fois drôles, enjoués, et aussi émouvants. Il a déja en lui ce goût particulier du mélange des genres qui fera plus tard encore son immense renommée. A partir de 1917, sa carrière connait un tournant avec le film L’émigrant ouvrant sa collaboration avec le studio First National, il injecte là tout ce qui fera sa gloire future, à savoir un sens du comique inégalé, des gags visuels ahurissants, des situations à hurler de rire, puis il se permet au passage une satire vengeresse sur les conditions d’admission des étrangers sur le sol américain. Cette amertume et cette conscience politique plairont moins aux conservateurs, qui auraient préféré le voir se cantonner à être un amuseur public. Il se trouve que Chaplin est aussi intelligent, cultivé et ne compte pas se laisser enfermer dans des cases. Dès lors, il devient célèbre dans le monde entier, son image envahissant les écrans et des gens de tous âges lui vouent un véritable culte. Il n’a alors même pas 30 ans. Son vagabond a beau faire rire, il n’en demeure pas moins la figure d’un laissé pour compte, la société le repousse mais lui il continue son chemin, avec sa démarche reconnaissable entre mille. Pour montrer sa solidarité aux soldats qui terminent la grande boucherie de 14/18 en Europe, il tourne en dérision l’armée dans Charlot Soldat et ne se fait pas que des amis dans la presse, qui lui reproche son manque de patriotisme. Ce n’est que le début de ses démélés avec ce pays, qui n’iront qu’en s’amplifiant au fil des décennies. L’étape suivante et marquante de son oeuvre date de 1921, il explose les chiffres du box office avec ce qui reste pour beaucoup son tout premier vrai long métrage The Kid. Chef d’oeuvre absolu, il raconte l’histoire d’un petit garçon abandonné par sa mère et recueilli par Charlot, sa tentative pour l’élever et l’adopter, mais l’administration s’en mêle et fait tout pour les séparer.

Ce triomphe assoit définitivement le statut intouchable de Chaplin, il peut désormais tout faire sans rendre de comptes à personne, et devient aussi son propre producteur en créant la United Artists. Cette corporation est financée avec d’autres grands noms de l’époque (Mary Pickford et Douglas Fairbanks, un couple d’acteurs, mariès à la ville et très ami avec Charlie). Son indépendance totale acquise, il tente de réaliser son premier vrai drame L’opinion publique , tourné à Paris, avec sa muse de l’époque Edna Purviance. Hélas, cet essai sera incompris et boudé par le public, d’abord parce que Charlie n’y joue pas dedans, et de plus, le ton du film est grave et sombre, à l’opposé des attentes. Tant pis, ce n’est pas un échec qui peut freiner le talent inoui de notre homme. Dans sa vie privée, il est un séducteur incorrigible, multipliant les liaisons féminines, souvent avec des jeunes filles à peine entrées dans leur majorité, ce qui fait jaser les journaux et créer une jalousie indicible chez ceux qui ne digèrent pas tout à fait l’incroyable succès dont il fait preuve partout. Tous les projets qu’il mène, dès le milieu des années 20, seront espacés de plusieurs années, lui permettant de soigner encore davantage ses productions et en faire de véritables bijoux cinématographiques. En 1925, sort La Ruée vers l’Or , après des mois de tournage exténuant et une mauvaise expérience avec une toute jeune actrice Lita Grey, qu’il s’est empressé d’engager, parce qu’il était amoureux d’elle. En réalité, il finit par se rendre compte qu’elle est incompétente et il est obligé de la remplacer par une autre comédienne et retourner toutes les séquences déja en boite. Ce film marque l’apothéose de son talent et a stupéfait des générations entières de spectateurs. Comment oublier des moments de poésie et de grâce comme la danse des petits pains au bout de sa fourchette ou la cabane en bois au bord du précipice et dans laquelle Charlot et son acolyte Big Jim tentent de sortir par tous les moyens? Et que dire de la fameuse et cultissime scène dans laquelle notre héros affamé, déguste sa propre chaussure? Un monument de drôlerie.

En 1928, après un temps de silence, Charlie revient au jeu et à la mise en scène avec Le Cirque , une autre réussite (quoique moins éclatante), où il retrouve son personnage de clochard amoureux d’une trapéziste et tyrannisée par son père. Il intègre la troupe et devient malgré lui le phénomène de ce cirque en perte de vitesse. Puis, c’est le krash boursier de 1929, laissant une énorme partie du pays sous les dettes, des milliers d’américains aux abois. C ‘est la débâcle et le temps des illusions est terminé. Charlot offre alors à son public une merveilleuse histoire d’amour entre une fleuriste aveugle et un pauvre sans abri, luttant pour trouver l’argent nécessaire à l’opération des yeux de sa Belle. Signant le scénario, les costumes, la production et même la musique, l’auteur complet qu’il est, atteint au sublime avec une intensité rarement vue auparavant. Ses Lumières de la Ville bravent l’arrivée du parlant, demeurant un film muet, et devient un des plus beaux classiques de tout le 7e Art. A plus de 40 ans, il n’a plus rien à prouver, maître absolu dans son domaine, savourant son rang unique et croulant sous une richesse phénoménale. Nul besoin de tourner à outrance, il se paye le luxe de préparer ses projets avec minutie et précision, sachant que le cinéma change et que le public demande des dialogues et du son, Chaplin entreprend contre l’avis général une nouvelle folie, au moment du Front Populaire Français.

Nous sommes en 1936 et la sphère cinéma accueille Les Temps Modernes , une satire du machinisme et plus largement une critique du capitalisme qui n’oublie pas d’être très drôle et encore à bien des égards très touchante. La relation nouée entre Charlot et la jeune fille clocharde et orpheline, jouée par Paulette Goddard, a traversé les années sans prendre de rides. Propos politique (c’est un plaidoyer évident pour la dignité humaine), comédie du bonheur triste (ou du malheur gai?), ce film magnifique reste en tout cas indépassable. Il sera aussi l’ultime occasion pour Charlot de montrer sa silhouette symbole, aux yeux d’un monde victime d’un fascisme galopant, menant directement à la guerre. Entreprendre un projet fou comme Le Dictateur en 1940, alors qu’Hitler domine et effraie la moitié du globe, avait quelque chose de courageux, d’insolent et même de périlleux. Un défi relevé haut la main par Charlie qui ridiculise le dirigeant allemand, la dérision mêlée de dénonciation de ses politiques raciales extrémistes, un portrait au vitriol d’un homme né la même année que lui et qui partage un seul autre point commun : la moustache! L ‘analogie s’arrête là! La droite américaine ne pardonne pas à Chaplin d’attaquer frontalement et de ne plus se cacher derrière des gags visuels, il se permet même de se fendre d’un discours final émouvant, appelant les peuples à la révolte. Il n’en faudra pas plus pour être catalogué communiste, la bête noire du système américain. Rajoutez à cela les fréquents scandales liés à sa vie amoureuse, son mariage puis son divorce avec Paulette Goddard, sans compter ses propos véhéments d’agitateur public et vous comprendrez pourquoi Charlot ne fit plus l’unanimité aux Etats Unis.

Prod DB © DR
LE DICTATEUR (THE GREAT DICTATOR) de et avec CHARLES CHAPLIN 1940 USA

Hélas, ses avertissements anti nazis, caustiques et énergiques, ne sont pas entendus et le film créent une tourmente dans sa vie, il est accusé des pires maux, devient la cible du maccarthysme, et cloué au pilori comme « rouge » et quasi ennemi de la Nation! En 1946, il présente Monsieur Verdoux , une sorte de biographie déguisée de Landru, où il se délecte à tuer et à dépouiller des dames, après les avoir séduites. Tout ça à la sauce Chaplinesque, donc avec un humour noir corrosif. Le succès est plutôt mou, les campagnes de sape ont déja accompli leur sale boulot. Entre temps, il a épousé Oona O’Neil, la fille du brillant romancier Eugene O’Neil, elle a presque 36 ans de moins que lui, mais le couple s’aime tendrement et défraie la chronique à nouveau. Il se fait plus discret jusqu’en 1952, où il revient avec Limelight , très beau mélo contant l’histoire d’une ballerine handicapée se liant d’amitié avec un clown déchu, Calvero. Chaplin incarne ce triste clown avec conviction et donne de superbes moments d’émotion. Son cinéma est devenu plus réfléchi, plus amer aussi, comme en témoigne Un Roi à New York en 1956. En exil en Europe, il tourne cet avant dernier long métrage, où le rire est grinçant et moins percutant. Il y régle ses comptes avec l’Amérique, mais la charge est lourde et indigne de sa grandeur. S’ensuit un silence de près de dix ans, pendant lequel Charlie se terre dans sa propriété de Vevey, en Suisse, goûtant à une existence paisible auprès de sa femme et de ses enfants.

En 1967, il termine sa prestigieuse carrière par un ratage La Comtesse de Hong Kong , sûrement son plus mauvais film, dans lequel il dirige deux Stars à leur zénith: Sophia Loren et Marlon Brando, plus capricieux que jamais. En 1972, il est ironiquement appelé à revenir aux States pour recevoir un Oscar d’Honneur amplement mérité, il vient chercher la statuette, mais sous escorte policière, car il continue à recevoir des menaces anonymes. Certainement des oiseaux de mauvaise augure ne supportant pas ce retour au pays, où il apporta pourtant tant de joie et de bonheur, grâce à ses films incroyables. Chaplin a vieilli, le petit homme marche difficilement, fait preuve d’une émotion immense face au parterre de la faune hollywoodienne et se retire à nouveau dans sa maison suisse, à l’abri des curieux, des journalistes avides de lui soutirer telle ou telle anecdote. Le cauchemar qu’il vécut si durement pendant la chasse aux Sorcières, les tentatives de ses adversaires pour le salir aux yeux de tous ont heureusement échoué, et lorsqu’il s’éteint, le jour de Noêl 1977, il laisse orphelin les spectateurs de la Planète. Son héritage? Un sens du tragique et du comique unique dans l’Histoire, une vision humaniste, et un langage universel, car c’est celui du coeur. Les traces indélébiles d’un génie.

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