Rosa Moline, femme d’un médecin ordinaire, s’ennuie ferme dans un petit comté du Middle West. Calculatrice, elle échafaude un plan pour quitter son mari et épouser coûte que coûte un brillant homme d’affaires, Latimer, qui est son amant depuis quelques mois, vivant à Chicago. Rien ne va pouvoir l’arrêter dans son projet…
Hollywood vécut la sortie de La Garce comme un choc quasiment inédit à cause de son caractère profondément amoral. Construit comme un thriller dont il possède une parenté évidente, le film est effectivement d’une noirceur extrême et osait, à une époque où la censure faisait encore rage, traiter des thèmes résolument modernes, comme l’avortement, l’adultère ou l’arrivisme. Ce qui nous semble aujourd’hui « inoffensif » n’avait pas la même résonnance dans les années d’après guerre. C’est sûrement pour cette raison que le film fut mal accueilli et connut un échec cinglant. Considéré comme mineur dans la carrière de King Vidor, sorti du triomphe du magnifique Duel au Soleil, La Garce est d’abord le portrait fascinant d’une femme vénale, antipathique et capable du pire pour apaiser son sentiment permanent d’insatisfaction: une sorte de Madame Bovary vénéneuse et cupide trompant son ennui dans une province industrielle et ne rêvant que de la belle vie dans la Grande Ville. Le carton d’ouverture annonce la couleur sans équivoque: le récit ne pourra aller que vers une issue tragique après bien des vices décrits sans vergogne et un sursaut de moralité qui ne peut entièrement effacer le pessimisme ambiant. Film jugé « abominable » parce que trop en marge, il bénéficie pourtant du savoir faire sans faille de Vidor à la mise en scène et d’un script assumant jusqu’au bout les aspects les plus sombres de l’âme humaine.
Le film est cependant « cannibalisé » par son actrice principale (ce qui est à double tranchant, puisque rien ne semble compter à part « elle »): il s’agit de Bette Davis, impériale dans le rôle titre, immédiatement détestable et prodigieuse comme elle seule pouvait l’être à ce point dans un personnage que rien ne semble pouvoir racheter. Les critiques les plus virulentes lui reprochèrent de jouer de façon presque caricaturale cette épouse infidèle et méchante, alors qu’elle parvient justement à lui donner tout de même une « humanité » infime dans l’étendue de sa monstruosité. Son partenaire Joseph Cotten incarne le mari « trop bon trop con » avec une linéarité intangible, de sorte qu’il ne fait d’ombre à personne et surtout pas à elle! La Garce marque la fin du contrat fructueux unissant Davis au studio Warner et demeure leur film le plus « mal aimé »: il est temps de le réévaluer séance tenante!
ANNEE DE PRODUCTION 1949.