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LOUIS DE FUNES

1914/1983

Louis De Funès ouvrit les yeux sur le monde en plein coeur de l’été 1914, peu de temps avant le déclenchement du premier conflit mondial. Issu d’une famille de la noblesse castillane, il passe une enfance sans histoires dans le Val de Marne, choyé par un père revêche, avocat sans le sou, et par une mère aimante et au fort caractère qui menait son monde à la baguette. Assez jeune, elle sensibilise son fils aux Arts en général, lui apprenant à jouer au piano, l’amenant au théatre et au cinéma, lui donna le goût de la lecture et du dessin. Il prendra même des cours de photographie, mais son côté boute en train l’emporte sur sa volonté de travail et il ne poursuit pas dans cette voie. L’armée l’appelle à 19 ans et il part faire son service. A son retour, il va enchaîner les petits boulots les plus divers: décorateur, étalagiste, fourreur ou garçon de café. Aucun ne sera durable. Il épouse Germaine, son premier amour en 1936, elle est simple couturière et il trouve un job de pianiste dans différents bars et boites de jazz. La longue période de vaches maigres ne fait alors que commencer… La guerre éclate, sa situation précaire ne s’arrange guère, ce qui provoque son divorce et ne lui permet pas de voir l’avenir en rose. Après moults hésitations, il s’inscrit au Cours Simon à 28 ans, se disant que la comédie pourrait être un tremplin idéal pour la réussite, et puis il sent au fond de lui que ce désir est le bon. Les débuts sont plus que balbutiants: il obtient des figurations, des silhouettes, et quelques lignes à déclamer, mais rien qui puisse faire éclater un talent encore enfoui.

Il n’a pas un physique de jeune premier, plutôt l’air d’un petit homme chétif, discret, humble et que l’on ne remarque pas. En 1946, il décroche un rôle bref dans La Tentation de Barbizon, à peine deux minutes de présence mais enfin admis dans le cercle fermé du cinéma. La route va être semée d’embûches, peu de propositions alléchantes, Louis doit se contenter de personnages falots, effacés, dans des films de qualité très inégale. Il s’est remarié avec Jeanne, la femme qui sera son épouse pour la vie, et il a du mal à faire vivre le ménage, agrandi par l’arrivée de deux enfants, les cachets sont trop maigres, alors pour subsister, il accepte de reprendre du service dans les night clubs, en tant que pianiste comédien de la troupe des Burlesques de Paris. Un job difficile, car il cumule des heures de nuits avant de tourner en journée dans quelques longs métrages peu marquants. Dans les seules années 50, Louis De Funès apparait dans 88 films (!!), d’abominables navets le plus souvent où il vient juste pour dire une réplique, ouvrir une porte, faire le pitre, jusqu’à ce jour de 1956, où il est enfin à l’affiche d’un film important, signé Claude Autant Lara, et où il croise deux stars du moment, Jean Gabin et Bourvil. La Traversée de Paris le voit exploser dans la composition d’un vendeur de viandes contraint de faire du marché noir, pendant l’Occupation allemande. Il n’est pas encore très connu, mais il se fait remarquer davantage et le public commence à savoir qui il est. Là dessus, il intègre la troupe des Branquignols, menée par Robert Dhéry, ajoutant du beurre dans les épinards. Louis joue ensuite dans Ah les belles bacchantes! , une comédie populaire sans prétentions mais qui fait beaucoup d’entrées, tout comme l’adaptation de Pouic Pouic , un succès théatral porté à l’écran et qui va enfin lui ouvrir la voie de la gloire. On est en 1963 et Louis va avoir presque 50 ans. Son acharnement et son travail constant finissent enfin par payer.

Il se distingue par son jeu unique, virtuose, sur les changements d’expressions, les sourires crispés, les volte face, les éclats de rire, le tout sur un rythme échevelé et un sens du timing comique proprement imbattable. Dès 1964, il devient la Star incontestable du cinéma français dans le domaine de la comédie et signe des contrats mirifiques, qui vont changer son train de vie du tout au tout. Il est d’abord le célèbre Cruchot dans Le Gendarme de Saint Tropez , irrésistible figure faisant la joie des petits et des grands, puis le Commissaire Juve  aux trousses de Fantômas dans trois films tous couronnés de succès, avant de faire une rencontre décisive pour sa carrière: celle avec le réalisateur Gérard Oury. Ensemble, les deux hommes vont accoucher de projets destinés à flamber le box office. Tout d’abord, Le Corniaud sort en 1965, offrant au public un duo De Funès /Bourvil absolument génial et complémentaire en diable! Les salles sont pleines à craquer et Louis tourne de plus en plus souvent (quatre films par an) et tout ce qu’il touche se transforme en or massif. Ensuite, il frappe encore plus fort avec sa prestation dans La Grande Vadrouille , colossale comédie tordante se déroulant en pleine Occupation, et dans laquelle le tandem avec Bourvil se reforme avec encore plus de brio et d’éclat. Le film fera 17 millions d’entrées et ne sera détrôné que par un certain… Titanic 30 ans plus tard. Dans ces folles années 60, rien ne semble pouvoir arrêter l’ouragan De Funès, présent partout, aimé de tous, adulé et au sommet de son Art. Quel était donc son secret pour nous faire tant rire? Un comique de gestes, de situations, de langage et de répétitions, il n’avait pas son pareil pour inventer tout le temps, mêlant le burlesque pur à des mimiques désopilantes. Il pratique le mime, use de grimaces pour appuyer ses personnages d’homme aisé, irascible, colérique, mais toujours attachants. Souvenez vous dans Oscar en 1967, où l’on assiste à un festival brillant d’acteur de génie, éclipsant des partenaires souvent très bons pourtant, mais on ne voit que lui, on en redemande toujours plus.

Les triomphes se succèdent, avec des titres comme Le petit Baigneur, Hibernatus, Le Grand restaurant où, à chaque fois il est de tous les plans, débordant d’une énergie infatigable, donnant souvent à ces films leur principal attrait. Non pas qu’ils soient mauvais, mais disons que les scénarios souffrent parfois de redites ou de situations farfelues que seul un immense talent comme le sien peut rendre drôles. De même, les metteurs en scènes qui travaillent avec lui n’ont quasiment pas à le diriger, sa personnalité et son goût très sûr lui permettent d’ailleurs d’être souvent le maitre à bord. Des réalisateurs comme Jean Girault ou André Hunebelle sont presque « inexistants » sur les tournages tant Louis écrase de sa présence et de son savoir faire ces simples faiseurs d’images. Ridiculiser les notables devient une constante dans sa filmographie, en utilisant un comique précis et un humour acéré, mais sans jamais tomber dans la méchanceté. Un réalisateur comme Serge Korber va tenter de donner à De Funès deux rôles très différents, d’abord dans L’homme orchestre où il peut prouver ses dons de chanteur, son amour de la musique, et où il montre un dynamisme pour les chorégraphies les plus endiablées, et aussi dans Sur un arbre perché (il se retrouve là coincé dans une voiture tombée dans le vide et retenue par un arbre, en dessous une falaise). Cette oeuvre est un échec, sûrement parce que le public n’était pas habitué à voir Louis ainsi privé de sa gestuelle et de son corps trépignant. En 1970, Oury compte recréer le fameux duo avec Bourvil, hélas ce dernier meurt d’un cancer et ne peut tourner ce qui deviendra La Folie des Grandeurs. Le partenaire de De Funès sera Yves Montand, un choix curieux et risqué mais qui se soldera par un nouveau hit avec des entrées record et des répliques restées cultes « Monsignore, il est l’or, l’or de se réveiller », et des gags réglés sur mesure pour les deux comédiens.

Chez Louis, il faut aussi noter un art consommé du déguisement (il est travesti dans Le Grand Restaurant , chinois dans le Gendarme à New York , écossais en kilt dans Fantômas contre Scotland yard, ou encore rabbin hassidique dans Rabbi Jacob). En 1973, il joue justement dans ces Aventures de Rabbi Jacob , à nouveau imaginées par Oury et sa fille scénariste Danièle Thompson et l’entreprise uniquement montée sur le nom de Louis s’avère un considérable succès, malgré un tournage compliqué et fatiguant. Il est d’une telle rigueur, d’une exigence si pointue que forcément, cela crée des tensions dans les équipes et dans ses rapports avec certains comédiens. Celle qui interprète très souvent son épouse s’appelle Claude Gensac et n’a jamais tari d’éloges sur Louis et sur sa force de travail, ne cachant pas non plus un perfectionnisme confinant à la psychose. La pression qu’occasionnait l’attente toujours plus grande du public était une source d’angoisse permanente pour l’acteur, obsédé à l’idée de demeurer numéro un.  Alors, le Louis anxieux a fini par s’épuiser jusqu’à y bousiller sa santé. En 1975, il est victime d’un double infarctus gravissime, l’obligeant à prendre des mois entiers de retraite forcée, lui qui n’arrivait pas à tenir en place. Malheureusement, le dernier film qu’il devait faire avec Oury intitulé Le Crocodile ne verra pas le jour, l’acteur ne pouvant honorer son contrat. Les assurances craignent désormais de nouveaux problèmes de santé et hésitent à l’engager. Il revient sur les écrans en 1976 pour une comédie de Claude Zidi plutôt plate et pas folichonne L’Aile ou la Cuisse , son partenaire de jeu est Coluche et ils s’entendent bien. Le film va marcher mais le public sent bien que Louis a changé, qu’il se ménage et qu’il ne déploie pas son hyperactivité d’avant. Face à Annie Girardot, il est ensuite à l’affiche de La Zizanie , une histoire de couple en plein conflit, mais où une tendresse réelle éclate sous nos yeux à les voir se donner la réplique. Pour éviter de trop tourner, Louis se retire de plus en plus souvent dans sa propriété du Cellier, près de Nantes, où il peut se reposer, et pratiquer sa deuxième passion: le jardinage. A la ville, c’est l’anti Star absolu! Un citoyen très timide, introverti, modeste, et d’une simplicité étonnante pour une personnalité de son envergure. Toujours resté fervent catholique, il ne s’implique pas dans les mondanités du show biz et ne court pas après la notoriété facile.

La décennie 70 s’achève sans nouveau projet pour lui, la mode est moins portée sur les comédies populaires, et sentant ce vent tourner, il entreprend de monter L’Avare du grand Molière, à ses yeux le génie suprême du texte indémodable. En rentrant dans la peau d’Harpagon, il se souvient de la façon dont sa mère retournait les matelas lorsqu’elle perdait de l’argent, comment elle sautait au plafond, et il a voulu retrouver cette dimension là. Christian Fechner produit le film que De Funès réalise lui même, sachant pleinement ce qu’il veut tirer de ce personnage, jamais à cours d’idées, il voudra mettre de la folie dans son jeu, mais cela ne convient guère au texte originel justement, et le film en pâtit. La critique dite « intellectuelle » n’a jamais été tendre avec le cinéma de De Funès, jugé trop franchouillard et sans finesse, mais sur ce coup là elle lui reconnait du courage d’avoir pris des risques. Hélas, le film se ramasse au box office et ne sera jamais remboursé. Ce coup dur sonne le début de la fin et atteint profondément l’acteur. En 1980, il reçoit enfin les honneurs de l’Académie des Césars en obtenant un prix pour l’ensemble de sa carrière, remis par le grand Jerry Lewis, osant embrasser Louis à pleine bouche, devant un parterre de stars hilares. Un an plus tard, il apparaît très amaigri dans La Soupe aux Choux, en paysan accueillant un extraterrestre joué par Jacques Villeret. Le script ne déborde pas d’idées fulgurantes, mais les jeunes surtout feront un triomphe à ce film devenu culte depuis.

L’année 82 est marquée par son dernier tournage, après plus de 35 ans devant les caméras, et il termine par un nouvel épisode du Gendarme, cette fois flanqué de ses Gendarmettes. Le coeur n’y est clairement plus, l’humeur générale non plus, entachée par le décès de Jean Girault, son complice et metteur en scène de prédilection, et le scénario d’une totale indigence. Maintenant, Louis peine à dissimuler l’usure de son corps, la fatigue constante qu’il ressent au moindre effort, il perd même le désir de s’occuper de son potager, de ses belles tomates et de ses roses qu’il aimait tant. Il semble arriver au terme de son existence, à seulement 68 ans, mais ayant vécu plusieurs vies grâce à des rôles ancrés dans la mémoire collective. Il nous quitte en janvier 1983, terrassé par une crise cardiaque. Il est enterré dans le petit cimetière du Cellier, où se dresse le château de Clermont, et la France connait un deuil national immédiat. Depuis, la société a tellement changé, les comiques aussi bien sûr, beaucoup lui ont rendu de beaux hommages, mais le plus merveilleux cadeau qu’il a laissé, ce sont ses dizaines de films, qui repassent fréquemment à la télévision, comme pendant le récent confinement, et qui battent toujours des records d’audimat, comme de véritables antidotes à la morosité ambiante. L’ultime preuve que De Funès a gagné sa place au paradis. Même une institution prestigieuse et « sérieuse » comme la Cinémathèque Française le met cette année à l’honneur, pour une exposition enfin digne de ce grand monsieur. Le seigneur du rire de notre enfance et de celles des générations à venir.

 

 

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