1967/1976: la rencontre de l’un des plus grands couturiers de tous les temps, Saint Laurent, avec une décennie libre. Son histoire avec Pierre Berger, ses créations, sa liaison avec Jacques de Bascher, ses addictions, son prestige…
En s’emparant du destin d’Yves Saint Laurent, Bertrand Bonello choisit de s’éloigner le plus possible du biopic traditionnel et donc d’aller à contre courant du projet, tourné la même année, par Jalil Lespert sur le célèbre couturier. Il signe un beau film à l’esthétisme marqué, aux images très léchées, et cherche aussi à faire le tableau pictural d’une époque. L’époque d’après 68, psychédélique et pop, où la liberté sexuelle permettait tout, où toutes les conventions étaient remises en question et où dans ce monde de la mode, la création était à son apogée. Bien sûr, il dessine également le portrait d’un homme extrêmement doué, bosseur, inspiré, sans omettre de montrer ses paradoxes, ses passions vives et ses démons intérieurs. Avec un sens aigu de la mise en scène, un soin apporté aux costumes, aux décors qui saute aux yeux, Bonello renonce à la linéarité, jonglant d’une année à l’autre, de manière très sophistiquée et finalement hyper personnelle. Le récit, éclaté et conduit comme un poème noir, surprend, déroute par instants, mais séduit autant notre regard que notre ressenti émotionnel.
Pour incarner cette figure emblématique, Bonello a judicieusement dirigé Gaspard Ulliel, littéralement habité par le rôle, parvenant à en faire un être multiple, torturé et classe à la fois, sans jamais tomber dans la caricature ni l’outrance. Son interprétation, très différente de celle de Pierre Niney, apparait plus viscérale, plus sensuelle, car moins « mimétique ». Le reste du casting n’accuse aucune faute de goût et Jérémie Rénier, Louis Garrel et même Léa Seydoux construisent leurs personnages avec habileté. Le cinéaste du Pornographe injecte dans son style une touche de mélancolie, accentuée par la présence d’Helmut Berger, l’acteur fétiche de Visconti, le réalisateur italien qui adorait décrire la grandeur des êtres avant leur déchéance. Quelque chose de profondément bouleversant ressort du tréfonds de cet anti biopic: le parcours d’un génie, dévoré par sa légende, et prisonnier de son autodestruction s’imprime en nous au fer rouge.
ANNEE DE PRODUCTION 2014.