Un jeune homme, d’une beauté étrange, fait irruption dans la vie apparemment tranquille d’une riche famille milanaise. Il noue avec tous ses membres des relations très fortes, allant jusqu’à coucher avec chacun d’entre eux. Quand il repart, chacun se retrouve face à lui même et la famille explose, agissant de façon « inexpliquée »…
Essayiste, poète, romancier et cinéaste, Pier Paolo Pasolini exprimait son art avec la rage d’un être en souffrance contre un système dans lequel il ne se reconnaitra jamais et qui ne l’acceptera pas davantage. Avec Théorème, il atteint là le point culminant des passions scandaleuses déclenchées par ses visions controversées de la religion, de la politique, de l’humain. Il échafaude tout d’abord son sujet en tant que pièce de théâtre, puis sous la forme d’un roman et finalement en adapte un scénario. Vive critique de la bourgeoisie italienne vouée selon lui à se cannibaliser elle même, l’oeuvre raconte l’irruption d’une sorte d’ange salvateur, bousculant l’ordre établi et apportant à une famille « trop parfaite en apparence » une forme d’amour divin, donnant au personnage une dimension Christique. Pasolini choisit de présenter avec une grande radicalité et une économie de paroles (le film comporte de longues séquences quasi muettes) le basculement des valeurs, la remise en cause des certitudes, l’éclatement de la cellule familiale. Théorème a fait scandale parce qu’il ose aborder des thèmes tabous (l’homosexualité notamment), tout en ayant recours à une réalisation fascinante et très pensée. Chaque plan semble avoir été élaboré pour créer du mystère, de la réflexion, du surréalisme également tant le déroulement du récit laisse dans un premier temps perplexe. Les cadrages de Giuseppe Ruzzolini renforcent la parabole mystique, ainsi que le « pamphlet symbolique » contre les conventions sociales. C’est l’évidence du désir sexuel qui révèle les êtres à eux mêmes, qui les transfigure et qui les change radicalement, guidant leurs pensées et leurs actes.
Le mutisme frappant la fille, la révélation du fils refoulé, la nymphomanie soudaine de la mère et le dépouillement (vestimentaire et spirituel) du père soulignent qu’une force (Dieu?) les pousse vers un état dépassant leur simple conscience. Pour incarner l’ange pervers au regard d’acier, Terence Stamp était l’interprète rêvé, jouant avec un minimum d’effets face à Silvana Mangano dans un de ses rôles les plus curieux, mais aussi Laura Betti, abonnée aux films difficiles, et récompensée par la Coupe Volpi à Venise pour son rôle de bonne transfigurée. Le film reçut également le Prix de l’Office Catholique international, avant que le Parquet de Rome n’en ordonne la saisie, jugeant l’oeuvre obscène. Quelques années plus tard et juste avant son mystérieux assassinat, Pasolini déclenchera encore bien des foudres avec Salo. Qu’on aime ou qu’on déteste Théorème, on ne peut en nier son importance culturelle, poétique et tenter d’en percer l’hermétisme.
ANNEE DE PRODUCTION 1968.
