Suzanne a quinze ans, presque seize. En vacances sur la Côte d’Azur, elle repousse Luc, le jeune homme qui est amoureux d’elle, puis se donne à un Américain de passage. De retour à Paris, elle multiplie les relations amoureuses. Ses parents se séparent. Son père quitte la maison. Elle doit alors faire face à l’hostilité de sa mère et de son frère. Suzanne pense qu’elle est incapable d’aimer, être volage lui permet de l’oublier, de s’oublier…
A nos amours dépeint très justement le portrait d’une jeune fille, perdue quelque part entre l’adolescence et l’âge adulte, solaire mais déjà envahi par le doute et la tristesse. Maurice Pialat cerne précisément les tourments de son héroïne, alterne les moments de relative quiétude et les brusques accélérations, passant comme dans Loulou, de l’euphorie à la dureté, quelquefois dans une même scène. Sa réalisation appuie là où ca fait mal et chez Suzanne c’est au coeur, ne sachant pas trouver sa place dans un monde qu’elle ne comprend pas, dans des relations affectives multiples où elle espère trouver une réponse à son mal être. Le script, en apparence brouillon et dispersé, relève en fait d’un miracle d’écriture sensible où la tendresse (surtout celles entre le père et la fille) et la brutalité entre la mère, le frère et la soeur s’entrechoquent, créant forcément des émotions brutes. Pialat montre parfaitement comment Suzanne s’étourdit dans les bras de différents hommes pour en réalité chercher en chacun un peu de son père qu’elle adore et avec qui elle a une complicité particulière, ce lien paternel est le fil rouge d’un film par ailleurs implacable sur les conflits familiaux. La violence psychologique et physique, l’hystérie plutôt que le dialogue, la sécheresse des sentiments: autant de thèmes chers à l’auteur de Police, portés ici à leur apothéose.
Le film reste pourtant d’une modernité remarquable, saisissant les gouffres parfois vertigineux qu’une fille de seize ans peut frôler, surtout lorsque sa lucidité l’emporte sur sa joie de vivre. Avec son « faux’ naturalisme, Pialat nous entraine dans la psyché de cette héroïne écorchée vive, incarnant à elle toute seule la jeunesse et elle se trouve magnifiquement interprétée par Sandrine Bonnaire, d’un naturel extraordinaire. Avec son regard dur et sa moue, elle exprime toute la rébellion que l’on a tous éprouvé un jour. Pialat pousse ses autres comédiens dans leur retranchement, comme à son habitude, et Evelyne Ker, en épouse abandonnée devenant une mère irascible, offre une partition frappante, ainsi que Dominique Besnehard en frère abusif. Quitte à être criante, toute cette vérité humaine prend des accents tragiques sur l’air de The Cold Song, entonné par la voix de Klaus Nomi. Pialat touche au sublime et A nos Amours remporta le Prix Louis Delluc et le César du Meilleur Film.
ANNEE DE PRODUCTION 1983.