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LINO VENTURA

1919/1987

Lino Ventura pousse son premier cri le 14 juillet 1919, dans la belle région de Parme. Son père ne l’élève que quelques années, avant de déserter le domicile conjugal et d’abandonner lâchement sa femme et son fils. Cette défaillance paternelle sera la première blessure du jeune Lino, qui gardera toute sa vie ce manque, ce vide, sans jamais s’en plaindre. Espérant une vie meilleure, sa mère fuit l’Italie pour venir s’installer à Paris, à la fin des années 20. C’est d’emblée le temps de la débrouille: allergique à l’école où il subissait de fréquentes humiliations dues à ses origines, le jeune homme rentre dans le monde du travail très tôt, et devient tour à tour livreur, aide comptable, garçon d’ascenseur et même représentant de commerce! Il nourrit surtout un amour sans bornes pour le sport, la discipline de fer qu’exige la lutte professionnelle, finissant ainsi de sculpter son corps massif et costaud impressionnant. Ni très beau ni très grand, il a surtout une gueule et une silhouette imposante, et il poursuit une petite carrière dans le domaine du catch. La violence des coups donnés sied déjà à son tempérament bagarreur et défensif. Pendant la guerre, il rencontre Odette et se marie avec elle en 1942, elle restera la seule et unique femme de sa vie. Mobilisé pour combattre en Italie, il s’y rend à reculons, vu qu’il doit servir l’armée de Mussolini, lui qui a déjà adopté la France dans son coeur. Il va alors rapidement déserter, venir se cacher dans une campagne perdue de l’Ile de France et attendre la Libération pour reprendre ses activités sportives. Il finit même par devenir Champion d’Europe des poids moyen à 30 ans. Mais un accident sur le ring l’oblige à cesser les combats au début des années 50. Rien ne le prédisposait alors à devenir acteur. Le hasard va vite s’en mêler… Par le biais d’un ami commun, il fait la rencontre de Jacques Becker, le réalisateur de Casque d’Or, qui cherche justement une force de la nature de type italien pour jouer Angelo, un chef de gang teigneux dans son polar Touchez pas au Grisbi. D’abord réticent et hésitant, craignant d’être ridicule devant une caméra, le catcheur refuse la proposition, puis se ravise devant le cachet proposé et l’opportunité de jouer face au monstre sacré du cinéma: Jean Gabin. Ce dernier l’adopte immédiatement et ils deviennent amis. Lino a 34 ans et sa deuxième existence commence vraiment.

Même dans ce troisième rôle, Ventura a une présence remarquable, sa carrure, son charisme en imposent, doublés d’un naturel de jeu qui vont lui ouvrir la voie pour d’autres emplois de porte flingues et de truands jusqu’à l’année 1958, où il obtient le rôle principal dans Le Gorille vous salue bien , une bande d’action peu ambitieuse mais qui le met sacrément en valeur. Le public vient en masse lui faire un triomphe et cette fois, il est lancé sur la route du succès. Sa marque de fabrique n’est pas courante à l’époque, il ne vient d’aucun cours de comédie, ne fait preuve d’aucun maniérisme, il est simplement là, tel quel et sa photogénie fait le reste. Le débutant Claude Sautet, futur auteur des Choses de la vie, le dirige en 1960 face à Belmondo tout jeunot dans Classe tous risques , un policier pas comme les autres, écrit par un ancien taulard José Giovanni, un homme dont le vécu se ressent dans sa narration et qui devient un des plus proches amis de Lino dans la vie. Ensuite, il tient l’affiche de plusieurs productions très estimables comme Le bateau d’Emile, Les lions sont lâchés ou Cent mille dollars au soleil, mais le coup de poker survient en 1963 quand il est un des Tontons Flingueurs de George Lautner. Avec Bernard Blier, Claude Rich et Jean Lefévre, il forme un quatuor irrésistible de drôlerie et de causticité que le box office couronnera de millions d’entrées. Son nom connu et reconnu de tous dans le métier lui permet désormais de tourner ce que bon lui semble, et d’ailleurs son credo sera toujours de choisir des rôles dans la lignée de ce qu’il était à la ville. C’est à dire un homme de principes, droit, loyal, à la virilité naturelle et qu’il incarne un truand ou un flic, il y met chaque fois son humanité, sa vérité d’homme. Instinctif, il privilégiait dans ses prestations la sobriété, la confiance, l’honneur. En 1965, Robert Enrico l’entraine dans l’aventure des Grandes Gueules, où son duo avec Bourvil fait merveille. Son rythme de tournages s’accélère encore dans la dernière moitié des années 60, si la Nouvelle Vague ne vient pas le chercher, il s’illustre dans des comédies populaires (Ne nous fâchons pas, Les Barbouzes) ou dans l’univers sombre et taiseux de Jean Pierre Melville pour lequel il tourne deux immenses polars rentrés dans la légende: Le deuxième souffle en 1966 et surtout L’Armée des Ombres où il campe un héros discret de la Résistance, sous une Occupation Allemande redoutable. Lino était exigeant dans ses choix, ne supportait pas l’à peu près et son perfectionnisme se heurtera au caractère plus « dilettante » de Melville. Leur collaboration tournera court, mais ont donné deux chefs d’oeuvres inégalés.

 

Alors que les sixties se terminent, entre les révoltes étudiantes et la libération sexuelle, Lino retrouve son pote Gabin dans Le Clan des Siciliens, un autre film policier marquant d’Henri Verneuil. D’une fidélité indiscutable, il travaille de nouveau avec Giovanni sur Dernier domicile connu (en duo avec Marlène Jobert) et avec Enrico pour Boulevard du Rhum , une aimable comédie d’aventures exotiques où il côtoie Brigitte Bardot, le sex symbol absolu du cinéma français. Un cinéaste comme Claude Lelouch saura également mettre en valeur sa profondeur morale, son humilité et montrer combien il était un homme pudique, derrière la façade du monolithe vivant. L’aventure c’est l’aventure entame leur collaboration, poursuivie par l’inattendu La Bonne Année en 1973, dans lequel Lino apparaît plus tendre, plus posé, plus accessible aussi. Tout au long de son parcours à l’écran, il faut souligner qu’il ne tourna quasiment jamais de scènes d’amour intime avec ses partenaires féminines (il est de ce fait une exception pour un acteur de sa trempe), il scrutait les scénarios à la loupe pour dénicher un passage dans lequel il serait « obligé » d’ échanger un baiser. Et en 72 films, à seulement deux reprises, on peut le voir embrasser une Dame (Marie Dubois dans Les Grandes Gueules, même si c’est elle qui lui saute au cou, et Angie Dickinson dans L’homme en colère). Cette retenue, cette pudeur immense qu’il nourrissait lui ont fait refuser catégoriquement des effusions charnelles gratuites. Cet homme net, sans détours, gardant ses secrets et ses tourments intérieurs tranchaient avec l’image d’ours mal léché et bourru qu’il aimait cultiver pour tenir à distance le vedettariat, dont il ne fut jamais dupe. Malgré une discrétion innée et détestant la charité tapageuse, un événement d’ordre privé bouleverse ses convictions: lorsqu’il est papa d’une petite fille née handicapée mentale, il remue Ciel et Terre pour apporter à ses enfants déficients des structures adaptées pour les accueillir. A travers l’association Perce Neige qu’il crée avec Odette, en 1966, il révèle le visage d’un père touché dans sa chair, attentif à la souffrance et utilise sa célébrité à une cause utile.

La décennie 70 sera sûrement celle de ses plus grands succès, il demeure l’acteur le plus aimé dans l’Hexagone, et il passe d’une excellente comédie de Molinaro L’emmerdeur (il se coltine le collant Jacques Brel) à la chronique douce amère sur la vie d’une jeune adolescente confrontée à son père autoritaire, La Gifle, portée par le talent naissant d’Isabelle Adjani, lui volant d’ailleurs plus ou moins la vedette. Retour ensuite aux policiers qui ont fait sa gloire, en 1975, il est dirigé par Pierre Granier Deferre pour Adieu Poulet , il y fait équipe avec le jeune Loup Patrick Dewaere et leur tandem improbable ne mérite que des éloges. Les fictions d’espionnage aussi lui vont comme un gant, notamment Un papillon sur l’épaule de Jacques Deray. Des auteurs comme Dabadie ou Audiard surtout ont écrit pour lui des dialogues sur mesure, lui évitant toute vulgarité facile, contournant les pièges des emplois de salaud intégral dans lesquels il ne voulait pas apparaitre. Jouer un personnage veule, sanguinaire ou dénué de convictions, c’était hors de question pour cet indomptable incorruptible. En amitié, inutile de préciser combien Lino se montrait sélectif et ses plus proches furent Gabin, Giovanni, mais aussi Brel et Brassens dont il adorait les tempéraments anarchistes et poètes à la fois. Très bon vivant, il cuisinait divinement bien pour eux (sa recette de pâtes au basilic était une tuerie parait il!), partageant avec eux des qualités rares dans cette profession: le mépris pour les faux semblants, le respect immense pour la vie privée (jamais Lino ne fût la cible de ragots de la presse people, certes moins virulente à l’époque) et la rude franchise en toute situation. Pas une fois il ne céda aux propositions pour monter sur scène, le théatre étant pour lui un tout autre métier, éloigné de ses capacités (selon lui), il jugeait que ses dons de comédien étaient strictement limités à des registres précis, et il ne voulait pas risquer l’échec, en tenant par exemple un rôle du répertoire classique. Le cinéma continua à lui offrir de belles compositions à tenir, il fit équipe avec Claude Pinoteau encore à trois reprises suite au fulgurant succès de La Gifle et son flair aiguisé l’emmène parfois hors de chez nous (L’Italie sert de cadre à Cadavres Exquis pour Francesco Rosi, L’Amérique l’appelle pour La Grande Menace, un thriller plutôt classique).

 

Sur les plateaux, Lino demandait un grand silence, confinant au recueillement, sa concentration n’était jamais feinte, ce qui n’était pas paradoxal avec sa modestie réelle, il avait juste un amour fou pour son métier et s’il doutait de lui même, il n’allait pas se lamenter, encore moins se fourvoyer dans des interviews intrusives, qu’il fuyait très intelligemment. A l’aube des années 80, quand la soixantaine sonne pour lui, il sait que la nouvelle génération de metteurs en scènes va lui soumettre des histoires « branchées » et censées fonctionner sur le public. Celui qui va le séduire un maximum, c’est Claude Miller, l’auteur de La Meilleure façon de marcher, lui proposant le beau rôle du commissaire Gallien face au notaire Martinaud, accusé de viol et de meurtres d’enfants, dans une Garde à vue en tous points remarquable! Ce film superbement écrit et réalisé sort en 1981 et le duo Ventura/Serrault marque pour longtemps les esprits. Ensuite, Lino tourne sous la direction du passionné Robert Hossein pour une nouvelle version des Misérables, d’après le roman de Victor Hugo. Et il relève un défi de taille: succéder dans la peau du bagnard Jean Valjean aux mythiques Raimu et Gabin (encore lui décidément!). Son interprétation habitée demeure une des plus bouleversantes de sa filmographie. En 1983, son pote Giovanni l’embarque pour un périple au Mexique et ils vont tourner là bas Le Ruffian, un trip d’aventures avec Bernard Giraudeau et Claudia Cardinale comme partenaires. Lino y est rayonnant de vitalité et de bonne humeur, mais le film, lui, s’avère assez oubliable. Un an plus tard, il est le héros de Cent jours à Palerme , incarnant le Général Dalla Chiesa, ce soldat italien courageux et assumant ses actes jusqu’au bout. Un personnage qui ne pouvait que lui plaire. Il ne sait pas encore que ce sera hélas son tout dernier film.

Le colosse compte ralentir un peu la cadence dès 1985 et prend le temps de vivre un peu pour lui et sa famille, sa fidèle Odette et leurs quatre enfants. Des projets voient le jour, mais pour raisons financières ou artistiques n’aboutissent pas, qu’importe il savoure la quiétude de sa maison douillette à Saint Cloud, profite de ses amis (même si beaucoup sont morts), mais aussi solitaire à ses heures, il se consacre à la lecture. Ses éclats de joie soudain énormes tranchaient avec son légendaire calme olympien, il aimait se souvenir de son parcours fantastique d’Italien immigré. Ses origines lui étaient si chères qu’il conserva la nationalité transalpine et lorsqu’en Octobre 1987, on lui décerne la Légion d’Honneur, il préfère décliner l’hommage, jugeant que sa femme la mérite davantage que lui. Cet ancrage dans ses racines n’était pas une coquetterie de sa part, et en homme entier, il les défendit toujours âprement. Quelques jours après, il succombe brutalement à une crise cardiaque à 68 ans, lui dont la santé n’avait jamais été fragile. Plus que la mort, il redoutait l’absence et en nous quittant, il laissa un vide béant dans le cinéma. Sa classe folle, son chic permanent (à la ville comme à l’écran), mais aussi son sourire charmeur et son art de ne pas faire semblant sont les empreintes qu’il nous laisse. Et puis ses yeux attentifs, rieurs, perçants dans lesquels on pouvait voir, si l’on y prenait garde, une détermination et une tristesse latente. La tristesse de ceux qui se sont battus pour arriver à leur but, sans compter sur personne et qui a su transcender son destin. Ainsi vécut un homme comme il n’y en a plus. Un grand Seigneur en tout cas!


                                                                                                                            

 

 

1 COMMENTAIRE

  1. Quelle carrière, cet acteur! il a fait un nombre impressionnant de très bons films, il y en a peu de médiocres! il était finalement fait pour le cinéma, avec cette allure de tranquille virilité et cette présence charismatique indéniable. Un beau portrait signé Olivier d’un de nos plus grands acteurs!

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