Marianne Winkler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen, et sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage, travaillant sur des ferrys en direction de l’Angleterre. Confrontée à la fragilité économique, elle découvre l’entraide et la solidarité, unissant ces travailleuses de l’ombre…
En 2011, la journaliste et romancière Florence Aubenas publia un récit, devenu un best seller, intitulé Le Quai de Ouistreham, afin de rendre justice aux « techniciennes de surface », abattant un boulot non seulement ingrat, mais très physique et surtout mal considéré. En l’adaptant au cinéma, Emmanuel Carrère (lui même brillant écrivain) veut mettre un formidable coup de projecteur sur ces femmes courageuses, battantes et si peu respectées, alors qu’elles sont si essentielles. Le film rend visibles leurs parcours et leur humanité et sa mise en scène, tout au service de son histoire, jamais intrusive accompagne ses personnages au plus près, telle une caméra d’investigation, pour nous plonger au mieux dans leur quotidien difficile. De ce fait , il n’y a pas qu’une héroïne, mais DES héroïnes et chacune nous touche avec son histoire personnelle. Ouistreham aurait pu être un énième documentaire sur la précarité, il reste un film de fiction, intelligent et posant des questions primordiales. Jusqu’où une journaliste peut elle aller pour faire son travail d’enquête? Est elle légitime, elle privilégiant d’un statut social aisé, de se mélanger avec des femmes à la limite du seuil de pauvreté, juste par souci de « vérité »? Ainsi, la duplicité et le mensonge font partie des thèmes abordés, tout autant que ceux de la misère économique.
L’autre riche idée de Carrère a été d’employer de véritables femmes de ménage, absolument pas comédiennes professionnelles, pour incarner ses protagonistes. Elles sont toutes formidables de justesse, en particulier Hélène Lambert et Léa Carne. Quelque chose de brut, de réel ressort de leur jeu (et pour cause!), apportant une infinie émotion. Bien entendu, face à elles, en actrice accomplie et une fois encore remarquable, Juliette Binoche s’est lancée dans cette aventure et ce rôle avec son sens du risque et du défi. Elle est en parfaite maitrise de son Art. Si d’une manière globale, le film prend aux tripes et atteint largement son but, quelques petites réserves peuvent être soulignées, surtout lorsque le scénario cède à la tentation d’un trop grand « sentimentalisme » (notamment avec l’idée du pendentif), mais c’est un détail au regard du reste. Cette étude sociologique sur la France d’en bas mérite un pouce levé bien… haut!
ANNEE DE PRODUCTION 2022.
