Archie Lee Meighan, aristocrate ruiné, vit avec sa jeune femme Baby Doll, seulement âgée de 19 ans, dans les restes de sa vaste demeure du Sud du Mississipi. Si le mariage est effectif, il n’est pas encore consommé. La petite poupée de chair intéresse également un certain Vacarro, un sicilien du coin, qui a compromis Archie Lee dans une affaire crapuleuse…
Une énième adaptation sur grand écran d’une pièce du dramaturge « à la mode » dans la décennie 50, Tennessee Williams, mondialement connu depuis Un Tramway nommé Désir. A nouveau, c’est Elia Kazan, homme de théâtre s’il en est, qui s’empare de ce texte situé dans le Sud Profond des Etats Unis et sujet de confrontations hommes/femme particulièrement troubles. Minuit doit sonner et annoncer pour le personnage de Baby Doll, femme enfant encore vierge, l’heure de son dépucelage par son mari bien plus vieux qu’elle et avec qui elle a fait un mariage de « raison ». Sur cette trame, Kazan peut s’en donner à coeur joie sur l’ambiguité sexuelle, le désir refoulé, les bas instincts réprimés et surgissant sous forme de reproches ou de haine verbale. L’éclosion progressive de cette jeune héroïne, sorte de « Lolita qui n’aurait pas encore couché » se heurte à la bestialité d’un homme miné, socialement diminué et parfaitement insatisfait charnellement parlant, puis la rencontre avec un exploitant du coin va réveiller sa féminité et peut être son envie de passer le cap. Williams défie avec force les moeurs d’une société sectaire, arriérée et qui empêche toute velléité d’épanouissement. Kazan crée une tension érotique sans oublier d’y introduire de l’humour (la partie de cache cache dans la demeure dite « hantée »), et vu la frilosité de la censure de l’époque, il doit s’y prendre avec des pincettes et un minimalisme forcené. Des tartines de dialogues pour signifier le démon habitant les hommes (pas foncièrement sympathiques) et pour traduire le conflit intérieur d’une femme en plein éveil sexuel que l’on cherche à dominer à tout prix.
Malgré une réalisation très portée sur le théâtre et le texte, Baby Doll garde sa qualité principale: ses acteurs! Karl Malden, mari au bout du rouleau, transpirant, surjoue quelque peu la lubricité, tandis que Eli Wallach livre une prestation davantage retenue et bien plus fascinante, admirant avec des yeux fous d’envie la demoiselle qu’il prend plaisir à troubler. En cela, la séquence de la balançoire, hautement symbolique, a pu choquer les esprits bien pensants. Enfin, Caroll Baker, toute jeune actrice sortie de l’Actor’s Studio, prête sa plastique d’ado/adulte à cette Baby Doll, fébrile jusqu’à un certain point. Un rôle qui ouvrit sa carrière autant qu’il sera un fardeau. Même l’image d’elle allongée dans un lit d’enfant, suçant suggestivement son pouce semble aujourd’hui sinon datée, en tout cas pas si provocatrice. Autre temps, autre moeurs…
ANNEE DE PRODUCTION 1956.