Albany USA , 1938. Francis Phellan a tout perdu sauf son idéal de l’amitié et de la loyauté. Vagabond avec Helen, sa compagne d’infortune ancienne chanteuse, ils errent dans les rues, sans toit ni argent. Avec l’alcool pour seul compagnon. Francis se remémore ses souvenirs d’antan, ses rêves de jeunesse, poursuivi par les démons du passé, ne cessant de voir les spectres de personnes mortes par sa faute…
Les oeuvres contant l’envers du « rêve américain » ont rarement la côte auprès du public et pourtant, il faut aussi évoquer les destins de ceux qui ont échoué dans ce pays où la réussite à tout crin cache parfois des réalités enfouies sous le tapis. Avec ce but bien précis en tête et à partir du roman L’Herbe de Fer de William F. Kennedy, le cinéaste brésilien Hector Babenco (auteur du très beau Baiser de la Femme Araignée) décrit avec crudité l’univers douloureux des déshérités de la Grande Dépression, suite au krach boursier de 1929. L’anti héros de cette histoire est un clochard en proie à des hallucinations, dues à l’alcool bien sûr, mais surtout dévasté par la mort accidentelle de l’un de ses fils qu’il causa par négligence. Ainsi, tout le film porte le sceau de la Mort, avec des figures revenant le hanter, lui rappelant ses fautes, alourdissant sa conscience. Babenco se laisse entrainer sur le terrain glissant du pathos avec ce scénario extrêmement complaisant, tentant par moments d’en faire une poésie macabre. Très éloigné du néoréalisme, Ironweed plonge la tête la première dans le contexte social désastreux d’une Amérique de perdants, victimes directes de la crise économique et de leur incapacité à « rebondir ». Le plus gros problème du film reste ses longueurs, Babenco n’a semble t’il pas voulu faire de coupes franches dans un montage harassant et difficilement supportable de 2H20 !
Du coup, le salut serait plutôt à chercher du côté de l’interprétation avec en tête Jack Nicholson, émouvant alors qu’il est sans cesse à la limite du cabotinage (mais n’est ce pas ce que l’on aime aussi chez lui?), incarnant ce sans abri en miettes et grignotant encore quelques souffles de vie. A ses côtés, sa partenaire non moins prestigieuse, Meryl Streep, défaite, sans maquillage, en loques, la silhouette fatiguée n’a pas besoin d’en faire beaucoup pour nous tirer des larmes! La séquence où elle chante un air mélancolique au milieu d’un bar truffé de poivrots, à la recherche de sa gloire passée, la voix éraillée par le whisky est un moment très poignant. Pas étonnant qu’Ironweed ait essuyé un échec cuisant: il offre un miroir peu reluisant d’une Nation excluant ses losers. En somme, un film triste à mourir!
ANNEE DE PRODUCTION 1988.