Qui est véritablement Karim D. ? Ce jeune romancier engagé au succès fulgurant ou son alias Arthur Rambo qui a posté, des mois avant sa notoriété, des centaines de tweets haineux, exhumés des réseaux sociaux. Des messages horriblement antisémites, sexistes et homophobes qu’il se défend d’avoir écrit par « pure provocation »…
Auteur du passionnant Entre les Murs et plus récemment de l’Atelier, Laurent Cantet s’inspire de l’affaire Mehdi Meklat, ce journaliste chroniqueur brillant qui vit son ascension stopper net par la parution de messages ignobles, postés sur les réseaux sociaux. Très habilement, Cantet pose les questions qui nous taraudent d’emblée: comment un jeune homme aussi intelligent et cultivé, à l’écriture fine, pouvait en même temps être l’auteur de pareilles horreurs? Quel est le rôle des réseaux sociaux, jusqu’où leurs dérives peuvent elles mener? Quelle est la véritable personnalité de ce Dr Jekyll des temps modernes? Le film se garde bien d’apporter des réponses claires, préférant rester ambigu (tout comme son « héros’), ou bien donne des bribes d’explications plus ou moins convaincantes sur les motivations réelles de l’écrivain, mis au pilori. On assiste à la chute sociale d’un homme, trop vite adulé, passant d’un statut de nouvelle star de l’édition à celui d’odieux facho, incapable de nuances. Par son montage accéléré, l’inclusion des tweets au centre de l’image, tels des textes agressifs et répétitifs, sont là pour créer l’abjection, la confusion et illustrent parfaitement l’emballement médiatique qui eut lieu à l’époque. Mais le réalisateur se défend d’avoir voulu faire une sorte de biopic de Meklat, il revendique une narration fictive et volontairement moins limpide, sujette à soulever des questionnements.
Pour incarner ce personnage ambivalent, Cantet a choisi un jeune acteur talentueux que l’on a pu voir dans Grave notamment, Rabah Nait Ouffela, et qui apporte une dimension très intéressante à ce rôle trouble et captivant. Les seconds rôles ont tous une épaisseur, du petit frère joué par le tout jeune Bilel Chegrani à l’écrivaine interprétée par la sublime Anne Alvaro. Une humanité se dégage de tous ces êtres dans leurs doutes, leurs paradoxes, leurs colères aussi. La force du film réside également dans sa capacité à ne pas porter de jugement moral, mais de démontrer par A+B et sans la moindre équivoque l’importance des mots. Le poids des mots, qui plus écrits, lus, relus et archivés.
ANNEE DE PRODUCTION 2022.
